1 juil. 2011

Réforme des administrations locales: Un projet absurde




Réforme des administrations locales (In Le Mauricien du 1er juillet 2011)

Un projet absurde

Le projet de réforme de l’administration locale est très décevant. Il n’est nullement à la hauteur de l’espérance suscitée initialement et ne répond en aucune manière à la mise entre parenthèse de la démocratie locale le temps de sa confection.

Le projet de loi (Bill) institue par deux idées phares : l’interdiction pour un élu national de briguer les suffrages lors d’une élection locale et la difficulté créée, en guise de dissuasion, pour un élu d’une assemblée locale de changer de camp politique durant son mandat. Si ces deux propositions sont à première vue séduisantes, elles n’en demeurent pas moins sujettes à de sérieuses interrogations. Le juriste ne peut faire l’économie d’une analyse des difficultés juridiques susceptibles d’être engendrées par les nouvelles dispositions.

De manière plus globale, l’on retiendra que sans aucune réelle avancée pour la décentralisation, la réforme n’est qu’une occasion perdue de procéder à un changement profond de l’administration territoriale nécessaire à une modernisation.

Le grand manquement de la loi

L’administration territoriale de Maurice est caractérisée par une trilogie des collectivités locales : les zones urbaines disposant d’une municipalité, les zones rurales d’un conseil de district et la Région de Rodrigues qui constitue un système hybride. Maurice s’est toujours inspirée du modèle britannique d’administration locale. Ce système met en place une administration territoriale inégalitaire sur l’ensemble de la République. Aujourd’hui, ce système est confronté à une série d’évolutions qui la rend impraticable. Il serait dès lors concevable de créer un échelon uniforme, autrement dit, de grandes villes seulement. Maurice est constituée historiquement de neuf districts et des îles habitées. L’idée serait de transformer ces neufs districts en de pôles urbains attractifs. Chaque district deviendrait une ville nouvelle. L’île Rodrigues et les autres dépendances seraient, dans ce schéma, un autre pôle territorial. Notre développement économique nous impose une marche vers l’égalité territoriale et la modernisation de celle-ci. Il est inadmissible qu’un enfant de Grand-Baie n’a pas accès à une bibliothèque municipale contrairement à celui de Curepipe ou de Quatre-Bornes.

Les progrès rendus possibles par les nouvelles technologies et, plus généralement, les nouveaux moyens de l’action administrative, les attentes des citoyens, l’évolution de leurs besoins, de leur mode de vie, la création de nouveaux quartiers résidentiels et la présence importante de touristes impliquent une organisation plus simple, plus lisible et plus réactive de nos collectivités locales. Il est nécessaire que tout le territoire national soit érigé en statut de zone urbaine. Parallèlement à cette nouvelle organisation unitaire, l’Etat transférait plus de compétence aux collectivités en leur accordant davantage d’autonomie fonctionnelle. Les villes ou les pôles urbains joueraient un rôle accru dans l’émergence d’un nouveau cadre de vie, la protection de l’environnement, le développement de la culture et des loisirs et la sécurité publique.

L’absence d’une réforme de cette envergure à notre administration locale serait moins un manque de compréhension et d’incompétence si le projet actuel n’était pas réduit à la règle anti-transfuge et d’un droit démocratique retiré aux députés.

La règle anti-transfuge

Une telle disposition peut apparaître attrayante au regard du comportement trop affairiste de certains hommes politiques. Elle n’en sera néanmoins qu’une pétition de principe dans la mesure où elle peut trop facilement être contournée et pose, par ailleurs, une sérieuse difficulté juridique. Le principe est que si un élu d’une assemblée locale décide de changer de bord politique, il perd son siège. Pour contourner cette difficulté, l’élu se trouvant dans une telle hypothèse, passera tout simplement en dissidence au moment du vote sans changer de camp officiellement. Ce serait un moyen pour lui de ne pas perdre son siège tout en œuvrant pour l’autre camp politique ! Au-delà de cette considération pratique, ce principe va à l’encontre de l’idée de la représentation, du mandat en démocratie. L’élu, qu’il soit national ou local, est l’élu soit de toute la nation ou de toute la circonscription (locale). Il est chargé de défendre les intérêts non pas de son parti ou même de ses électeurs mais de tous les citoyens, ceux ayant voté pour lui et contre lui et les absents.

Dans notre régime démocratique d’inspiration westminsterienne, le mandat ne peut être impératif (les options sur la base desquelles l'élu a été désigné sont contraignantes). Le mandat est libre et ainsi l'élu est libre de ses votes et choix. Le mandat électif libre est un contrat moral entre les électeurs et l'élu pour qu'il défende l’intérêt général de toute la communauté en son âme et conscience. La règle anti transfuge constituerait l’instauration d’un mandat impératif en ce sens qu’il appartiendrait au parti politique d’appartenance de l’élu de dicter sa conduite. Or le parti n’a pas, dans notre régime politique, de reconnaissance démocratique. Notre système est dit représentatif et n’est nullement une particratie. Le parti n’a pas, en tant que tel, de légitimité démocratique, contrairement au système soviétique où il appartenait au parti de faire des choix pour la nation. Accorder au parti un tel droit va à l’encontre même de la décentralisation où il revient à l’élu local, plus proche de ses concitoyens, de prendre des décisions en raison d’une telle proximité. Aussi, dans le contexte politique mauricien, le pouvoir remonterait-il en réalité entre les mains des seuls leaders des principaux partis politiques.

L’inéligibilité du député aux élections locales

Le projet de loi prévoit que les députés en exercice ne pourraient pas faire acte de candidature aux élections locales, entendons les élections municipales. Il ne s’agit pas en réalité du non cumul des mandats comme cela existe dans d’autres pays. Le non cumul oblige l’intéressé à choisir à exercer un seul mandant à la suite d’une double élection. Mais il ne l’empêche pas à être candidat. La loi lui impose, en cas d’élection, de choisir le mandant qu’il souhaite exercer. Le projet mauricien interdit au député de faire acte de candidature aux élections locales. Ce qui constitue une grave entorse à un droit constitutionnel élémentaire. Le cas d’espèce n’est pas non plus comparable au régime appliqué aux fonctionnaires de l’Etat. Ces derniers ont tout à fait la possibilité d’être candidats à une élection politique mais peuvent être démis de leur fonction dans cette hypothèse en raison d’un manque d’impartialité et de neutralité. Poser le principe de l’inéligibilité du député est une méconnaissance de la Constitution car il exclut au suffrage une catégorie de personnes sans motifs constitutionnels légitimes.

Ce sont les raisons pour lesquelles, pour ma part, j’estime que la réforme envisagée doit être rejetée dans son intégralité !

Parvèz DOOKHY