30 juil. 2011

Me PARVEZ DOOKHY: " Difficile à Navin Ramgolam de s'imposer comme avant"


"Difficile à Navin Ramgoolam de s'imposer comme avant" Interview in Samedi Plus du 30 juillet 2011

Notre compatriote Parvèz Dookhy exerce comme avocat au barreau français. Auteur de plusieurs articles de réflexion sur la réforme au niveau politique et constitutionnelle, il jette un regard critique sur les derniers évènements ayant bouleversé l'échiquier politique.

Parvez Dookhy, que pensez-vous de la décision des ministres du MSM de se retirer du conseil des ministres ?
C’est un fait politique majeur. Depuis une décennie nous avons connu, contre toute attente, des alliances électorales stables et reconductibles. Depuis 1967 jusqu’en 2000, les ruptures d’alliances étaient bien régulières. Les alliances redeviennent fragiles. Mais la solidarité envers l’ex ministre de la santé est à interpréter. Est-ce parce qu’elle est mise en cause dans un délit économique ou parce qu’elle a été arrêtée et sur ordre de qui ?

Sommes-nous dans une crise institutionnelle ou constitutionnelle avec cette décision d’une des factions de l’alliance gouvernementale de ne plus diriger les affaires de l’État ?
Nous sommes dans une crise politique déjà. Elle sera institutionnelle si le gouvernement n’arrive plus à survivre et surtout de diriger la politique de la nation. Il faut revoir la recomposition au Parlement. Pour l’heure le MSM soutient toujours la majorité mais c’est une farce. Ce qui est sûr c’est que le gouvernement est dans l’instabilité !

Techniquement est-ce qu’un ministre du gouvernement peut s’attendre à rester en fonction des qu’il ou qu’elle est mis en examen ?
Il y a le principe de la présomption d’innocence qui doit s’appliquer à tout le monde. En même temps, dans le monde politique, on doit être au-delà de tout soupçon. C’est une question non pas juridique mais de légitimité politique. Un élu qui commet une faute morale est discrédité. La politique n’est pas du juridique.

Y-a-t-il des corrections ou des amendements à apporter au système pénal mauricien en ce qu’il s’agit du pouvoir d’arrestations des personnalités publiques ?
Certains pays prévoient pour les élus une immunité pénale ou une procédure plus complexe (par exemple, l’obtention préalable du président ou du gouvernement). Ce n’est pas nécessaire. Il faut simplement à l’autorité chargée de l’arrestation un peu de maturité. Dans le cas de Maya Hanoomanjee, je pense que l’on aurait dû attendre tranquillement sa sortie de l’Hôpital privé. Ca n’aurait pas duré éternellement. Là, l’ICAC a agi en toute urgence. Elle a fait extraire une patiente de l’hôpital privé, l’inculper, la présenter devant un juge et elle retourne à l’hôpital. Tout ça vicie un peu la procédure. Si la concernée a fait des déclarations aux enquêteurs, elle pourrait revenir aisément sur ses déclarations en arguant devant un juge son état de santé du moment. Donc ce n’est pas très habile d’avoir procéder ainsi.

Êtes-vous satisfait du fonctionnement de la Commission Anti-Corruption, l’ICAC a Maurice ?
C’est un fait que l’ICAC manque en indépendance. Le Directeur général est nommé par le Premier ministre pour une durée de 5 années reconductibles. Il aurait dû être nomme par le Chef-Juge en exercice. Et bénéficier d’un mandat plus long mais pas reconductible, ce qui veut dire qu’il n’aurait pas eu de compte à rendre. Ces changements sont nécessaires pour donner à l’institution une indépendance nécessaire. Aussi serait-il mieux si ce poste est occupé seulement par des anciens juges.

Que risque-t-il de se passer sur le plan politique avec ce changement important ?
Les cartes sont redistribuées. Plusieurs hypothèses sont envisageables. Arithmétiquement, le gouvernement peut encore survivre mais ce sera difficile de gouvernement avec une si courte majorité (en cas de changement de camp du MSM) car des fois il y a des députés-ministres absents à l’Assemblée pour diverses raisons (voyage, maladie etc). Paul Bérenger reprend un peu la main et peut désormais s’affirmer comme le Premier ministre alternatif. Il va encore tout faire pour précipiter le départ définitif du MSM de la majorité. Une fois fait, la donne politique change et le rapport de force. Pravind Jugnauth tape un coup de poing sur la table et joue malgré tout la prudence. Paul Bérenger joue un peu avec le feu : il doit attirer le MSM, leur donner des garanties et en même temps le MSM est un fardeau pour son électorat. Il lui serait plus sage de laisser le MSM dans sa situation actuelle, c'est-à-dire en dissidence par rapport au gouvernement sans être dans l’opposition. Cette situation sera vite inconfortable pour le MSM qui est un parti du pouvoir dans tous les sens du terme.

Est-il possible de gouverner avec le principe de solidarité gouvernementale à la lumière des derniers évènements ?
La solidarité gouvernementale a pris un sacré coup. Il faut voir la réaction d’autres éléments de l’Alliance de l’Avenir. Certains y sont des spécialistes de l’éjection avant le crash.

Est-ce que Pravind Jugnauth a marqué des points importants pour sa carrière politique surtout son désir d’être un jour le Premier ministre ?
Il prend de sérieux risques. Il peut s’affaiblir au sein de la majorité et être contraint de passer dans l’Opposition. Le MMM est en situation de force au regard de sa performance électorale seul et de tous les scandales actuels et à venir dont fait face l’actuel gouvernement.

Est-ce que la cassure gouvernementale risque de s’approfondir pour aller vers les élections générales ?
Ce n’est pas à écarter. Ce sera désormais difficile à Navin Ramgoolam de s’imposer comme avant. Avec le départ du MSM du gouvernement, il perd en légitimité politique même s’il a une majorité qui le soutient encore. La confiance, qui a été la règle d’or de la conclusion de l’Alliance de l’Avenir, n’y est plus !

Puisque tout est possible en politique, peut-on avoir un remake de l’alliance MSM/MMM ?
Les militants vont revendiquer pour que ce soit en tout état de cause une alliance MMM/MSM et non l’inverse avec Paul Bérenger Premier ministre pour toute la plénitude du mandat. Vu la conjoncture politique, si le MMM réorganise le parti et établit un programme alternatif séduisant, le parti peut se présenter seul et affronter le suffrage et remporter les élections. Le MMM doit cibler les jeunes.


Ou encore une fameuse lutte a trois ?
C’est un peu du fantasme politique. Le MSM n’est pas en situation d’une lutte à trois. Donc, il s’accrochera à un autre parti ou bloc.

Le tout sans la reforme électorale et constitutionnelle longtemps attendu…Vos commentaires ?
La réforme est reportée sine die. Il n’y aura pas de consensus nécessaire. On peut dire que c’est définitivement abandonné pour cette Législature.