18 juil. 2011

L'infraction de propagation de fausses nouvelles: une procédure potentiellement abusive en démocratie

L’infraction de propagation de fausses nouvelles

(In Le Mauricien du 18 juillet 2011)

Une procédure potentiellement abusive en démocratie

La répression d’un délit large de propagation de fausses nouvelles est indicative du faible niveau démocratique d’un Etat. La propagation de fausses nouvelles (propagation/dissemination of false news/information) est un délit fort ancien qui perdure dans certains pays. Elle est appliquée fréquemment dans les pays d’Afrique connus défavorablement pour leur pratique de la répression politique. Dans certains pays démocratiques où elle existe, elle fait l’objet d’une application particulièrement restrictive, laissant la place à la diffamation pour réparer toute atteinte à l’honneur.

En effet, la propagation de fausses nouvelles se distingue clairement du fait de la diffamation (defamation) sur le plan juridique dans un Etat de droit.

Pour que l’infraction de fausse nouvelle soit constituée, il faut, d’une part, que la nouvelle soit fausse, mensongère, erronée ou inexacte et, d’autre part, qu’elle soit de nature à troubler la paix publique. Le Code criminel du Canada (article 181) exige que la fausse nouvelle cause une atteinte ou un tort à quelque intérêt public. En France, le juge retient l’atteinte à la paix publique ou le trouble grave à l’ordre public (Cour d’appel de Paris du 18 mai 1998). Aussi, le juge apprécie-t-il avec beaucoup d’indulgence l’intention coupable (mens rea) de l’auteur de la fausse nouvelle qui peut aisément faire valoir, comme défense, sa bonne foi ou le fait qu’il a pu légitiment croire que la nouvelle était fondée. L’infraction n’est caractérisée que si l’auteur a agi avec une particulière mauvaise foi. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a eu l’occasion d’affirmer que la condamnation d’un journaliste pour le simple fait d’avoir publié un fait avéré comme étant faux à l’encore du Président du Cameroun sans aucun autre élément était une violation de l’article 19 du Pacte (sur la liberté d’expression).

En revanche, la diffamation est une allégation (statement) ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération (causing injustified injury to the good reputation of another) de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

La fausse nouvelle se distingue dès lors de la diffamation sur un point essentiel : la première exige que le fait divulgué porte atteinte non pas à l’honneur de la personne intéressée mais à la paix publique. Elle est fait application lorsque le fait publié ne concerne pas sur une personne mais par exemple une politique ou pratique fausse qui serait pratiquée par l’autorité publique ou un groupe privé. A titre d’illustration, est caractéristique d’une propagation de fausse nouvelle le fait infondé d’affirmer qu’un groupe ethnique est en train de tuer des membres d’une autre communauté tel jour dans tel endroit. Ce fait porte effectivement atteinte à la paix publique et constitue une fausse nouvelle d’autant qu’il ne vise aucune personne, physique ou morale, nommément.

L’infraction de propagation de fausse nouvelle est d’application restrictive. Lorsqu’un homme politique X affirme qu’un autre a eu un comportement susceptible d’être une infraction pénale, il s’agit manifestement d’un fait pouvant relever seulement de la diffamation.

Transformer un fait susceptible de diffamation en un délit de propagation de fausse nouvelle pourrait constituer un abus de droit et de procédure. La diffamation demeure un conflit entre deux individus et il est tranché par le juge. La propagation de fausse nouvelle permet de mettre en marche tout l’appareil répressif de l’Etat. Elle devient un combat judiciaire entre l’Etat via la police et l’auteur des propos. Elle pourrait prendre la forme d’une répression politique pure et simple dans la mesure où l’infraction de propagation de fausse nouvelle peut avoir des incidences quant à la liberté physique du mis en cause.

Les organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie seraient bien avisées d’être particulièrement attentives sur toute dérive dans l’application de la loi pénale à des fins politiques.

Parvèz DOOKHY

Docteur en Droit en Sorbonne, Avocat