17 mai 2010

Les sept erreurs de Paul

La défaite du Mouvement militant mauricien (et de ses deux mouvements satellites) aux dernières élections législatives était bien prévisible pour tout observateur aguerri de la vie politique de Maurice. Les causes en sont multiples mais je pense sincèrement qu’elles ne sont en rien liées à un reflexe communautariste de l’électorat en raison de l’appartenance ethnique minoritaire de Paul Bérenger et ce malgré la prise de position des associations socioreligieuses en faveur des uns et des autres. L’on était plus dans la configuration politique de 1983. Paul Bérenger est désormais un ancien Premier ministre et aucun des dirigeants de l’Alliance de l’Avenir n’a fait allusion de près ou de loin à son appartenance ethnique ou physique. C’est Paul Bérenger lui-même qui a constamment tenté de se victimiser de la sorte. C’est une posture qui n’a pas porté ses fruits.

Sa défaite, aussi cruelle qu’elle puisse être au regard de son parcours et engagement politiques, est la conséquence d’au moins de sept erreurs stratégiques.

1. La première erreur tactique du MMM était de se séparer du Mouvement socialiste mauricien, l’autre composante de l’Opposition lors de la précédente législature. Le leader du MMM a manqué à toutes les occasions pour se rapprocher tactiquement du MSM et notamment lors des partielles dans la circonscription de Moka en 2009. En ralliant la grande famille militante, l’Opposition aurait créé une meilleure dynamique et une synergie. Paul Bérenger lui-même le sait et le dit à ses proches que la dissidence du MSM dirigée par Ashock Jugnauth était bien insignifiante politiquement.

2. Paul Bérenger, malgré ses quarante années d’expérience politique à son actif, s’est bien fait leurrer par Navin Ramgoolam. Il a cru sérieusement à la possibilité de concrétisation d’une alliance entre le MMM et le Parti Travailliste alors qu’il était Leader constitutionnel de l’Opposition. Ce qui a eu pour conséquence une mise en veilleuse des critiques de l’Opposition institutionnelle à l’encontre du gouvernement alors que celui-ci était à la fin de son mandat et dans une situation bien difficile au regard de l’insécurité et de l’atteinte à l’ordre public. En procédant ainsi, le MMM a perdu toute crédibilité pour critiquer le Parti Travailliste ou le gouvernement sortant ensuite. Comment critiquer celui avec qui l’on a voulu s’allier ? Or, il était d’emblée bien évident que Navin Ramgoolam n’allait pour rien conclure une alliance avec le MMM pour avoir Paul Bérenger comme le n° 2 d’un éventuel gouvernement. Car Paul Bérenger allait jouait au Premier ministre par intérim hyper actif en son absence d’autant qu’il est avant tout aussi un ancien Premier ministre. La stabilité et la continuité offertes par Rashid Beebeejaun étaient bien trop précieuses pour que Navin Ramgoolam puisse prendre un tel risque.

3. Le MMM avait au moins 5 années pour préparer son programme électoral alternatif, le temps qu’il était dans l’opposition lors de la précédente législature. Paul Bérenger avait institué des commissions au sein de son parti mais à part celle sur l’économie, aucune d’entre elles n’a été productive ! Le parti n’a pu présenter son programme que 10 jours seulement avant la date du scrutin ! Le programme n’était ni suffisamment attrayant ni crédible tant les mesures ont été annoncées à la hâte et sans grande conviction. Et aucune étude de faisabilité n’était présentée au peuple. Paul Bérenger lui-même avait fini par reconnaître que ce n’était qu’un recueil d’intentions… Pour le gouvernement sortant, la situation était bien différente en ce qu’il s’agit du programme parce qu’il avait avant tout un bilan relativement honorable à défendre. Il pouvait reléguer le programme au second plan ! Il en va de même pour les slogans bien fades et non séducteurs présentés par le parti, à savoir « Pour une autre l’île Maurice », ce qui n’était qu’une définition négative d’un projet de société. Aucune place n’était faite au développement, à la modernité, au confort matériel, ce à quoi aspire le mauricien en priorité.

4. La présence et le rôle attribué à Ashok Jugnauth était une faute de casting grave. Ashok Jugnauth a été condamné par la Cour suprême de Maurice, puis la décision a été confirmée par le Conseil Privé de la Reine et finalement par le peuple lui-même d’une certaine manière lors des élections partielles de 2009. Paul Bérenger ne pouvait valablement annoncer comme thème de campagne la lutte contre la corruption alors que son futur vice premier ministre était lui-même condamné par les plus hautes instances du pays pour des faits de fraude et de corruption fussent-ils de nature électorale ! Ashok Jugnauth était un élément bien handicapant de son équipe !

5. Sur ce même registre, le choix des candidats n’a pas été toujours judicieux. Paul Bérenger a fait appel à des personnalités soit dépassées soit complètement absentes de la scène politique pour briguer le suffrage dans certaines circonscriptions. Ce fut notamment le cas dans la circonscription n° 3 où il devait absolument rafler la mise pour pouvoir former le gouvernement. Aussi le déploiement des candidats était-il peu adéquat. Vishnu Lutchmeenaraidoo, vu le rôle qu’il devait occuper dans le dispositif, devait avoir une circonscription bien plus sûre. Enfin, l’équipe présentée, qualifiée de top team, n’était pas suffisamment représentative de la diversité mauricienne. Malgré l’absence du facteur communautariste, l’équipe gouvernementale n’était pas ethniquement équilibrée. Paul Bérenger aurait dû présenter un membre de la communauté majoritaire ayant une grande autorité morale comme l’éventuel Président de la République et non Jayen Cuttaree.

6. Paul Bérenger a commis trop de dérapages verbaux. Il n’avait pas droit, vu son origine ethnique, de tomber dans l’insulte et l’utiliser comme argument de campagne. Certes, la télévision nationale a exploité à outrance ces dérapages, mais Paul Bérenger devait se contenir et se comporter comme un homme d’Etat. Ses adversaires n’ont même pas eu besoin d’insister, à tort ou à raison, sur le caractère colonialiste d’un tel comportement tant il était choquant. Paul Bérenger devait rester digne dans l’offre d’alternance.

7. Le MMM a eu tort de ne pas être implanté à l’île Rodrigues. Cette île fait partie du territoire de la République et tout parti national doit y être quitte à ce qu’une cellule rodriguaise soit animée par des rodriguais. Les deux sièges à pourvoir à Rodrigues pouvaient et pourraient être déterminants dans la conquête du pouvoir par le MMM.

Telles sont, me semble-t-il, les raisons primordiales de la déroute électorale du MMM. Il serait peu judicieux que le MMM continue de fonctionner comme à son accoutumée. Après une cascade de défaites électorales depuis au moins 2003 (partielles de 2003, générales de 2005, municipales de la même année, partielles de 2009 et générales de 2010), le parti doit travailler à sa refondation et revoir de manière structurelle sa stratégie de conquête du pouvoir. Je sais que la tentation est grande à l’actuelle opposition d’attendre une éventuelle cassure de l’Alliance gouvernementale pour pouvoir y faire son entrée. Une telle stratégie est bien piètre. Le discours de l’Opposition doit tout autant être modernisé, séduisant et constructif.

Parvèz DOOKHY

Publié in Le Mauricien du 20 mai 2010 (Forum)