29 sept. 2011

(Ile Maurice): Dérive autoritaire du régime

POINT DE VUE D’UNE ONG INTERNATIONALE: Dérive autoritaire du régime

Le Groupement des Défenseurs Judiciaires contre la Répression (GDJR) s’inquiète de la dérive autoritaire de l’actuel régime à Maurice.
Les récentes mises en cause des responsables de l’Opposition et en particulier du Leader constitutionnel de l’Opposition sous des accusations pénales de propagation de fausses nouvelles ou de complot pour déstabiliser le Gouvernement, telles que rapportées largement dans la presse, constituent une atteinte à la démocratie et au bon fonctionnement des institutions.
Il sera rappelé que l’article 1er de la Constitution affirme le caractère démocratique de l’État mauricien. La liberté d’expression est tout autant proclamée par la Constitution en son article 12.
Le régime institutionnel correspond à un système parlementaire de type Westminster. Dans cette configuration, l’Opposition a toute sa place sur le plan constitutionnel. Elle est expressément prévue par la Loi Fondamentale sous la rubrique « Exécutif ». L’Opposition peut mettre en place un cabinet fantôme (shadow cabinet) et jouit de la possibilité constitutionnelle de renverser le Gouvernement en place par le vote d’une motion de censure (article 60 de la Constitution). La déstabilisation du Gouvernement, par des moyens démocratiques, fait partie des facultés offertes, voire des devoirs de l’Opposition. Les acteurs de l’Opposition institutionnelle doivent bénéficier d’une grande inviolabilité pour qu’ils puissent exercer leurs devoirs.
S’agissant de la nature des infractions pénales sous lesquelles certains membres de l’opposition sont présentement poursuivis, le GDJR souligne que la Constitution de Maurice, en son article 10-4, pose le principe de la légalité des infractions pénales et des peines tout comme l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, applicable à Maurice en vertu d’un jugement du Conseil Privé intitulé D. Matadeen du 18 février 1998. La Cour européenne des droits de l’homme, dont la jurisprudence a une grande autorité morale sur les juges mauriciens et du Conseil Privé, a exigé qu’une infraction doit être clairement établie par la loi pour pouvoir être sanctionnée (CEDH, 22 novembre 1995, C.R. et S.W. c/ Royaume-Uni). Un délit ne peut être vague et flou ou encore faire l’objet d’aucune définition !
Au regard de ces textes fondamentaux et de la jurisprudence, l’infraction de déstabilisation du Gouvernement ou même celle de fabrication de faits controuvés ne peuvent valablement être caractérisées dans une société démocratique ou un État de droit.
S’agissant de l’infraction de divulgation de fausses nouvelles, il sera souligné que ce délit se distingue clairement du fait de la diffamation (defamation).
Fausse nouvelle / diffamation
Pour que l’infraction de fausse nouvelle soit constituée, il faut, d’une part, que la nouvelle soit fausse, mensongère, erronée ou inexacte et, d’autre part, qu’elle soit de nature à troubler la paix publique. L’infraction n’est caractérisée que si l’auteur a agi avec une particulière mauvaise foi. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a eu l’occasion d’affirmer que la condamnation d’un journaliste pour le simple fait d’avoir publié un fait avéré comme étant faux à l’encontre du Président du Cameroun sans aucun autre élément était une violation de l’article 19 du Pacte (sur la liberté d’expression).
Le délit de propagation de fausse nouvelle ne peut être utilisé pour faire réprimer un fait qui relèverait de la simple diffamation. La diffamation est en effet une allégation (statement) ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération (causing injustified injury to the good reputation of another) de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.
La fausse nouvelle se distingue dès lors de la diffamation sur un point essentiel : la première exige que le fait divulgué porte atteinte non pas à l’honneur de la personne intéressée mais à la paix publique. Elle est fait application lorsque le fait publié ne concerne pas une personne mais par exemple une politique ou pratique fausse à laquelle s’adonnerait l’autorité publique ou un groupe privé. A titre d’illustration, est caractéristique d’une propagation de fausse nouvelle le fait infondé d’affirmer qu’un groupe ethnique est en train de tuer des membres d’une autre communauté tel jour dans tel endroit. Ce fait porte effectivement atteinte à la paix publique et constitue une fausse nouvelle d’autant qu’il ne vise aucune personne, physique ou morale, nommément.
L’infraction de propagation de fausse nouvelle est d’application restrictive. Lorsqu’un homme politique X affirme qu’un autre a eu un comportement susceptible d’être une infraction pénale, il s’agit manifestement d’un fait pouvant relever seulement de la diffamation.
Transformer un fait susceptible de diffamation en un délit de propagation de fausse nouvelle pourrait constituer un abus de droit et de procédure.

Parvèz Dookhy

Président du GDJR