30 déc. 2010

On peut s'interroger sur l'efficacité du recours au Tribunal de la mer

Journal L'Express du 30 décembre 2010. Entretien sur l'action en justice engagée par l'Etat mauricien contre le Royaume-Uni.

10 oct. 2010

Entretien dans le journal "Le Dimanche" du 10/10/10 sur la réforme constitutionnelle, réalisé par Jimmy Jean Louis




Le débat est relancé à Maurice sur la question d’avoir une deuxième république. Quelles reformes constitutionnelles vous semble importantes ?

On peut faire des réformes sans parler d’une IIème République. On parle d’une autre République lorsqu’on modifie l’équilibre institutionnel, par ex. si l’on passe d’un régime parlementaire classique d’aujourd’hui à un régime présidentiel l’américaine. Un changement de République traduit aussi l’idée d’une instabilité constitutionnelle, ce qui est mauvais pour l’image d’un pays. En fait, certains proposent un régime présidentialiste à la française (c’est un régime parlementaire dans lequel le Président joue un rôle accru). Le terme présidentiel est mal utilisé à Maurice. Oui, des réformes constitutionnelles sont nécessaires, mais ce sont des retouches qui vont dans le sens d’une amélioration, sans changer l’équilibre fondamental. Ce sont des mises à jour qu’il faudrait.

Faut-il allez vers un système présidentiel à la française ?

Nous avons à Maurice, un système politique dit « parlementaire » inspiré du modèle de Westminster. Ce système est caractérisé par un rapport équilibré et mutuel entre le Parlement et le Gouvernement. Ce dernier est issu des rangs des députés majoritaires et est collectivement responsable devant l’Assemblée. Le Chef de l’Etat, quant à lui, ne conserve qu’une fonction arbitrale en cas de crise et, pour le reste, protocolaire. Pour la présidentialisation de notre régime, il suffirait de procéder à trois changements : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (le peuple vote et choisit le Président), faire du Chef de l’Etat le président du conseil des ministres (cabinet meeting) et de lui accorder un droit autonome de dissolution de l’Assemblée Nationale. Fort de sa légitimité démocratique, le Président aurait un rôle accru dans la définition de la politique de la nation et celle-ci serait conduite et mise en application seulement par le Premier ministre et son gouvernement. Le Premier ministre, qui est maintenu, serait alors tout à la fois responsable, juridiquement devant le Parlement, et, politiquement devant le Chef de l’Etat.

Ce bicéphalisme risque de bouleverser l’équilibre institutionnel nécessaire à la mise en place d’une politique gouvernementale sur le long terme. Avec le multipartisme tel que nous la connaissons, l’on pourrait aisément aboutir à une paralysie des institutions si le Président et le Premier ministre ne sont pas du même bord politique ou sont en concurrence. Pays émergeant, Maurice ne peut se permettre le luxe d’une cohabitation conflictuelle à la tête de l’Etat. Il y aurait un risque que les deux légitimités, Président et Premier ministre, s’affrontent. Les deux auraient une légitimité populaire. Néanmoins, l’on pourrait accorder un véritable statut intermédiaire au Chef de l’Etat. Actuellement le Président n’est que le successeur du Gouverneur-général. Il est choisi, en toute discrétion, par le Premier ministre seul et ce choix est ratifié par l’Assemblée Nationale. Nul ne peut faire acte de candidature à cette fonction. Il faudrait qu’il y ait une vraie élection, que des personnalités puissent faire acte de candidature librement. Dans une République moderne, le Président doit être élu pour une raison tout simplement démocratique et pour lui conférer l’autorité de sa fonction. Dans notre cas, il pourrait l’être par un suffrage universel indirect, c'est-à-dire par un collège composé de députés (éventuellement de sénateurs si ces fonctions sont créées), de chefs des administrations locales (maires, présidents des districts et assemblée de Rodrigues) pour éviter un conflit de légitimité entre lui et le Premier ministre. Il faut un véritable suffrage et des candidats potentiels qui s’affrontent.

Etes-vous en faveur d’un parlement bicaméral et de l’introduction d’un Sénat. Quels avantages peut-on y avoir ?

L'intérêt d’un Sénat est multiple. Il est toujours utile de faire usage de l'expérience des femmes et hommes politiques qui ont dirigé le pays. En général, la deuxième chambre comporte en son sein des personnalités expérimentées qui pourraient tempérer des changements hasardeux et donner un meilleur éclairage à l’orientation politique. Aussi, la deuxième chambre reflèterait-elle un rapport de force différent dans le pays, ce qui pourrait modérer toute victoire écrasante d'un bloc sur un autre si son renouvellement a lieu à une période différente. Elle permettrait de consolider la démocratie. Un Sénat élu à la proportionnelle mettrait fin au débat sur l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée Nationale. La stabilité politique à la chambre des députés est nécessaire pour un pays émergeant. Or, la proportionnelle à l’Assemblée est malheureusement réputée pour être un facteur du fractionnisme. Elle y permettrait l’émergence de trop de petits partis. Déjà nous avons sept partis représentés à l’Assemblée. Au sein de la majorité, si elle est faible, les petits partis pourraient faire du chantage au gouvernement, leur soutien étant conditionné à l’application essentiellement d’une revendication. Au Sénat, la proportionnelle n’aurait un tel effet néfaste eu égard aux pouvoirs qui seraient conférés aux sénateurs. Cependant, avant de créer un Sénat, je suis en faveur d’un renforcement de l’Assemblée nationale. Le nombre de députés à l’Assemblée doit être augmenté. Une soixantaine de députés n'est pas suffisante pour diriger un pays. Grands ou petits, les pays ont en général une trentaine de membres du gouvernement (ministres et secrétaires parlementaires privés). A Maurice, tous les membres du gouvernement, sauf l'Attorney-Général, sont des élus, ce qui fait que presque la moitié des députés compose le gouvernement. Il ne reste que l'autre moitié (opposition/majorité confondues) pour contrôler l'action du gouvernement et faire des propositions. Ce n'est pas suffisant. Il y a lieu d'accroître le nombre de députés. On peut aussi ajouter éventuellement un député par continent pour représenter les mauriciens de l’étranger (ils n’ont pas le droit de vote actuellement). L’on doit passer, pour que l’Assemblée nationale puisse fonctionner à bon escient, à une centaine de députés (4 par circonscription, 5 à 10 de l’étranger, 3 de Rodrigues, 8-10 best-Loser). Dans une assemblée, il faudrait qu’il y ait des commissions permanentes chargées de contrôler l’action du gouvernement sur les grands secteurs. Notre Assemblée est encore trop embryonnaire. L’activité parlementaire ne se réduit pas à la seule opposition au gouvernement.

Comment jugulez avec les questions concernant le best-loser system et le l’introduction de sièges réservés pour les femmes aux Parlement ?

Je propose de donner au système dit des meilleurs perdants un nouveau souffle. C’est d’attribuer les sièges en priorités aux candidates femmes battues aux élections en prenant en considération leur appartenance ethnique également. Ce serait un moyen pour promouvoir la parité hommes-femmes en politique chez nous.

Certains réclament l’abolition du poste de vice-président. Vos commentaires ?

Certains soutiennent que c’est un poste qui coûte cher à l’Etat pour un rôle très faible et qu’en réalité il sert plus à accorder une retraite dorée à un camarade fidèle et éventuellement il satisfait à la représentation ethnique plurielle de notre société. Il suffit de changer de pratique : choisir pour le poste quelqu’un qui est apte et compétent et lui attribuer un rôle. Je suis en faveur d’un certain activisme de la Présidence sur le plan international sans qu’elle ne marche sur les pieds de la primature. Je ne pense pas que l’on puisse demander au Chef-Juge ou au Speaker d’assumer l’intérim de la présidence sans conflit d’intérêt et sans atteinte au principe de la séparation des pouvoirs même si cela existe dans certains pays. Par exemple, une Loi qui reçoit l’assentiment du Chef-Juge président par intérim ne pourra pas être loyalement contestée devant le pouvoir judiciaire.

Peut-on y introduire le principe référendaire pour les grandes décisions ?

Le référendum est déjà prévu par la Constitution depuis 1982. Il s’agit par contre du seul cas où le pouvoir chercherait à renvoyer la tenue des élections législatives. Le texte de loi doit être adopté par référendum et par l’Assemblée. Oui, le référendum pourrait être prévu aussi pour l’adoption de grands changements. L’abrogation de la monarchie et l’instauration de la République en 1992 auraient dû être adoptées par référendum pour une raison de légitimité démocratique !

5 oct. 2010

Une feuille de route au MMM

Le Mouvement militant mauricien (MMM) dirigé par Paul Bérenger a connu cette année sa cinquième défaite électorale consécutive (partielles de 2003, générales de 2005, municipales tenues dans la foulée, partielles de 2009, générales de 2010). Cette quintuple défaite d’affilée aurait dû entrainer une refondation substantielle du parti pour le remettre sur pieds sur de nouvelles bases afin de pouvoir affronter ultérieurement le suffrage dans des conditions optimales. Tel n’a pas été le choix opéré par le parti qui, de toute évidence, semble persévérer dans son mode de fonctionnement habituel.

Un certain nombre de changements sont nécessaires afin de donner au MMM un nouveau dynamisme. La question d’un changement de la personnalité qui doit assumer la direction du parti est dans cette logique primordiale mais en l’absence de tout autre prétendant sérieux que Paul Bérenger lui-même aux fonctions de leader, elle doit d’emblée être écartée. Elle n’est, en l’état, que de la pure théorie. En contrepartie, un renouvellement des instances dirigeantes devrait s’opérer. Parallèlement, il y a lieu, dans la configuration actuelle du paysage politique mauricien, de chercher des voies et moyens alternatifs pour que le MMM puisse devenir suffisamment attractif.

La communication du Parti doit être revue de fond en comble. Le discours est bien rétrograde ou, autrement formulé, il est vintage ! Le langage n’est pas moderne. Le type de discours et le style restent marqués par ce qui se pratiquait dans les années 70-80. Or, depuis au moins la dernière décennie, il y a eu un bouleversement sans précédent des moyens de communication qui a influé considérablement sur le mode d’expression. La communication s’est fortement démocratisée. Paul Bérenger a dû l’apprendre à ses dépens lors de la dernière campagne : les blagues déplacées ou le langage manifestement démagogique ou encore les propos vulgaires sont immédiatement exploités et les contours amplifiés par l’adversaire. Le discours nouveau du MMM doit être exempt de démagogie et finement soigné. Les slogans doivent être nettement plus attractifs.

Les moyens utilisés pour faire de la propagande méritent d’être adaptés à la modernité. La direction du MMM maîtrise mal, ou très peu, les outils d’internet. En estimant, à tort ou à raison, que le Parti est boycotté par la Télévision nationale, le MMM se serait mieux inspiré en développant, au moins sur la toile, des moyens de diffusion de ses activités. A titre indicatif, les diffusions sur Youtube sont trop segmentées et lacunaires. La page Facebook de Paul Bérenger est très mal administrée et ne répond guère à celle d’un chef d’un parti pouvant prétendre à l’alternance. Paul Bérenger lui-même n’y prête pas d’attention. Or, tous les grands hommes politiques de ce monde sont sur Facebook et anime de manière plus ou moins directe leur page car celle-ci permet avant tout un dialogue fluide et ponctuel, ô combien nécessaire, entre le politique et les citoyens.

L’activité politique du MMM s’est considérablement réduite. Elle consiste principalement à une conférence de presse hebdomadaire le samedi matin, des questions au gouvernement lors des sessions parlementaires et quelques réunions publiques et éventuellement la présence de ses dirigeants lors de certaines cérémonies socioreligieuses. Le MMM a délaissé d’autres formes d’action : la visite sur place, comme cela se fait en Europe, des travailleurs, des chefs d’entreprise, des étudiants, des personnes souffrantes etc. C’est un moyen pour aller à la rencontre des mauriciens et prendre en compte leurs doléances. Le MMM d’aujourd’hui est coupé d’une large partie du peuple.

Le MMM doit soigner son image internationale. Un parti même d’Opposition doit entretenir des relations avec les gouvernements et oppositions de l’étranger. Le MMM s’est trop aliéné depuis quelques années. Le Parti doit s’ouvrir sur le monde. Le leader du MMM se doit d’entreprendre des visites quasi officielles dans les pays étrangers afin d’entretenir sa stature internationale. En l’état, il a complètement abandonné cette fonction et s’est replié sur soi à tel point que le MMM refuse de s’implanter même à Rodrigues, territoire faisant partie de notre République.

Lors des dernières consultations électorales, le MMM n’a pas pu présenter en temps utile un programme électoral attrayant au peuple. Une série de mesurettes sans chiffrage avait été annoncées seulement une dizaine de jours avant l’échéance. Une Opposition digne et pouvant prétendre légitimement à l’alternance doit avoir un programme élaboré, débattu suffisamment et bien entendu crédible. Le mauricien aspire aux bonheur, développement, progrès social et respect de l’éthique. Le MMM n’a pas su mettre l’emphase sur l’idée de développement et de la nécessaire transformation moderne de notre société. Le MMM a manqué, sans jeu de mots, de vision d’avenir !

Or, un certain nombre de secteurs souffre d’une absence de développement. Il s’agit des transports, pour lesquels une multitude de solutions existent indépendamment du métro léger. L’accès à la médecine doit être démocratisé à l’ensemble de la population et les soins offerts par l’Etat doivent être de qualité. Nous avons besoin d’une économie davantage florissante et encore plus ouverte sur le monde. Maurice doit retrouver sa vocation internationale naturelle : une diplomatie dynamique prenant des initiatives, œuvrant pour la paix et capable d’étendre notre zone d’influence. Notre système démocratique mérite d’être assaini sans procéder à de bouleversement de l’équilibre institutionnel. L’idée d’une deuxième République, qui semble être reprise par le MMM, est une proposition contreproductive car elle ne fera qu’effrayer une large partie de l’électorat. Une deuxième République traduit avant tout l’idée d’un futur incertain.

Le MMM a besoin d’une cure de crédibilité. Il doit faire de propositions fortes et montrer qu’il est capable de se conduire comme une Opposition constructive. Il doit également donner la certitude, pour consolider son électorat et ratisser plus large, qu’il n’entend pas faire son entrée au gouvernement en cas de cassure de l’actuelle alliance gouvernementale s’il est appelé en renfort par le Parti Travailliste. La direction doit être dynamisée et les responsabilités mieux distribuées. Tout est encore trop centré sur la seule personne de Paul Bérenger. Or, celui-ci fait de la politique sans grande conviction depuis un certain temps. La politique est devenue un mode de vie pour Paul Bérenger et non une affaire de conviction.

Si le MMM se considère comme un grand parti d’opposition, alors il a l’obligation de conduire son électorat à la victoire…

Dr Parvèz DOOKHY

(publié in Le Mauricien du 5 octobre 2010, forum)

24 sept. 2010

La dangereuse aventure du créole graffiti

La question ou le choix de la graphie du créole n'a guère été posé et encore moins débattu alors qu'un pseudo-débat tend à avoir lieu sur la place de l'utilisation de cette langue au sein de la société mauricienne. Cette démarche est bien inquiétante au même titre que la question de l'introduction du créole dans l'enseignement et dont les enjeux n'ont jamais été bien pesés de fond en comble. Une controverse portant sur le créole a toutefois eu lieu et mais celle-ci a été uniquement tributaire d'un discours à forte prédominance idéologique au détriment d'une analyse attentive et éclairée.

La graphie du créole

Depuis quelques années une nouvelle graphie semble se répandre et s'imposer à l'encontre de l'écriture traditionnelle du créole. C'est une graphie en apparence phonétique mais loin d'emprunter cette dernière logique qui obéit à des règles internationales bien précises. Le créole phonétique mauricien s'évertue à écrire "kreol" au lieu de "créole" et est dénommé par certains comme le créole "K", le créole dit graffiti ou encore morisyen. Il s'agit d'une graphie de l'extrême gauche en opposition à un créole "C" que nous dénommons comme la graphie latiniste ou traditionnelle.

La graphie "K" méconnaît la dynamique réelle du créole. Elle s'inscrit dans un refus idéologique du lien de filiation qu'entretient le créole mauricien avec la langue française. Même si elle emprunte une phonétisation plus ou moins francophone encore, elle se pose comme une défrancisation obscurantiste. Elle tire sa force davantage en se donnant l'image d'un faux militantisme idéologique, en masquant les vrais enjeux et critères qui doivent retenir l'attention du Mauricien averti, en voulant rendre le créole comme une langue qui pourrait vraiment emprunter des signifiants exprimant un univers non atrophié.

Le double univers de sens du créole mauricien

Si l'on oppose traditionnellement les langues en tant que systèmes quelque peu hermétiques entre elles, le créole mauricien se parle et se lit sur un univers double et perméable du sens. Le locuteur créole mauricien emploie en permanence une fusion de deux univers herméneutiques en de multiples façons, consciemment ou inconsciemment. Le code linguistique créole emprunte impérativement des horizons du sens du français et l'invoque dans son parler quotidien - étant avant tout un créole français (en opposition à d'autres créoles, tels ceux hispanophones ou anglophones), s'inscrivant dans la francophonie. Il y a fluidité du sens d'un système linguistique à un autre, une stratégie locutoire propre et nécessaire au mauricien.

Le créole poli et savant est celui qui se rapproche le plus de cette toile en amont du français qui sert d'horizon herméneutique à la locution créole. La variation de registre s'inscrit ainsi entre la distance qui s'apprécie entre les deux univers que nous avons évoqués. Le phénomène est peut-être incompréhensible pour un unilingue russe ou anglais mais immédiatement compris par un Mauricien qui le vit quotidiennement.

Ne pas reconnaître cette dynamique spécifique du créole conduirait à la mise en place d'une politique obscurantiste.

L'appauvrissement lexical

C'est en ce sens que la graphie pseudo-phonétique devient un cheval de Troie pour une écriture du créole, car elle n'est au fait qu'un drainage de l'épaisseur savante du parler mauricien tant en ce qui concerne l'acquis conceptuel et civilisateur, qu'une dépatrimonialisation linguistique inculte. Elle entraînerait, à terme, une rupture avec toute l'histoire et richesse de la langue française dont le créole a besoin pour exister et de laquelle il puise sa dynamique. Elle ferait croire au Mauricien que le terme, par exemple, de "montagne" n'a rien à faire avec le terme correspondant français… La lexicalisation du monde créole serait ainsi primaire et originaire, le commencement d'une aventure linguistique sans passé. Or il s'agit d'un obscurantisme idéologique privant le locuteur mauricien de toutes les grandes ressources linguistiques (dont l'étymologie) comme support qui ouvre les possibilités génératives ordonnées et cultivées d'une production locutoire.

Cette attitude foncièrement idéologique du graphisme pseudo-phonétique entraîne ainsi une dé-lexicalisation dangereuse du créole. S'y pose la défiguration et disparition des termes savants, des concepts et des tournures de l'esprit, qui ne peuvent se dire en créole qu'en empruntant un idiome français créolisé. Tout l'apport de l'esprit - au-delà d'une simple vocalisation langagière à la mauricienne - ne peut se faire qu'en empruntant et en donnant cours à un créole francisé, à un français qui sert de texte de fond du discours créole.

Notons aussi, en passant, que cette graphie pseudo-phonétique cache des contradictions internes : le pluriel peut-il prendre le signe français "s" ? (ou alors, en créole 100 "roupies" et une "roupie" ne sont que "roupie" ?) ; comment conceptualiser une normalisation grammaticale si ce n'est qu'en ayant recours aux concepts descriptifs, ou pour certains, génératifs du paradigme latinisant, dont le français ?

La spécificité mauricienne

A Maurice, les configurations linguistiques sont marquées, d'une part, par l'usage presque exclusif de l'anglais au sein de l'Administration, et, un discours idéologique à la haïtienne (un créole entraînant une fermeture au savoir et un abêtissement du peuple), d'autre part. Celles-ci sont en outre conjuguées au fait que le français ne jouit pas du statut de langue d'enseignement alors qu'il serait plus fidèle à la réalité mauricienne. S'il en était ainsi, le français acquerrait une importance capitale dès lors que l'on reconnaîtrait son rôle de sens transcendantal (plus ou moins phénoménologique) dans la dynamique du créole mauricien. Il est une langue en filigrane mais bien présente dans la lexicalisation directe du monde par le Mauricien et une conceptualisation source dans le découpage et la compréhension de l'être-au-monde. En l'état actuel, la réalité linguistique mauricienne est marquée par des fractures et des aliénations linguistiques qui influent sur le génie de la nation mauricienne que l'on évite d'apprécier.

Dans le contexte institutionnel mauricien, l'écriture pseudo-phonétique du créole se présente comme un danger d'enfermement. Elle s'écrirait comme dans un vide herméneutique, dans une rupture totale avec son lien français, comme un faux substitut à celui-ci. Elle imprime la rupture avec le fond français et propose l'herméticité d'une graphie créole. Cette écriture ne peut alors que conduire vers une rupture du savoir et à une fermeture au monde et à l'horizon transcendantal du français. Le patrimoine linguistique français est, en réalité, celui de tous les Mauriciens, sans exception, qui doit être réclamé en tant que tel, mais, bien entendu, avec l'avantage de l'histoire, qui donne une forme mauricienne au français et qui lui a donné un créole francophone. Celui-ci s'inscrit dans le continuum de cette langue romane, d'où émane sa richesse et sa sagesse. C'est alors à bon droit que le créole continuera d'emprunter une notation latiniste.

Par opposition, une graphie latiniste du créole (celle de l'écriture du créole traditionnel, le créole "C"), conservant là où peut se faire une orthographe française, permet au Mauricien, même faiblement scolarisé, d'ouvrir un dictionnaire français ou une encyclopédie, de lire un journal, de s'instruire de ses droits et de se lier au grand monde (possibilité que la graphie pseudo-phonétique lui refuse). Le monde moderne repose institutionnellement sur le XVIIIe et XIXe siècle, forgé par une Europe francophone. C'est ici un avantage du Mauricien que de pouvoir accéder directement à la construction du monde moderne, de façon quasi-native, qu'une graphie latiniste doit conforter, mais que lui refuse une graphie "K". Cette possibilité est fermée à d'autres peuples qui n'ont pas le français, même en tant que dialecte ou créole, comme langue primaire.

Lien avec le français et le latin

Une graphie du créole, au final, doit être lisible, et doit être acceptée par le monde savant. Elle doit s'inscrire dans un pragmatisme contextuel, tout en facilitant l'accès à la connaissance. Elle doit opter pour l'ouverture et l'épanouissement même de son signe, et non pour sa fermeture et son atrophie. Ce n'est que la graphie traditionnelle qui peut prendre en charge ces critères. Il faut aussi savoir que l'économie mauricienne repose en grande partie sur le tourisme. Il y a lieu d'avoir une approche pragmatique et de prendre en compte l'image et l'accessibilité des étrangers et touristes, surtout francophones, au créole et à la nation mauricienne dans le but du rayonnement et l'épanouissement de celle-ci. Le créole mauricien en tant que représentant du créole de l'océan Indien ne pourrait que s'appuyer sur une graphie uniforme francophone pour une meilleure reconnaissance d'elle-même et des autres parlers créolophones voisins.

Pour nombre de lecteurs mauriciens, la graphie "K" représente une pause de lecture, un arrêt, parfois une déroute, qui l'arrache à sa logique orthographique francophone. L'accessibilité et le décryptage du créole n'y gagnent en rien, mais souffrent plutôt d'un rejet. Son écriture ne se démarque qu'en opposition au grand monde ouvert à la connaissance. La graphie "K" n'est pas une normalisation grammaticale ni ne participe d'une orthographe sécuritaire et démocratique dans la mesure où elle serait toujours la marque des choix individuels et sur laquelle un consensus uniforme serait impossible. Elle privilégierait la rupture au lieu de la continuité. Elle ne peut séduire que quelques-uns comme un idiome non réglementé, donc présentant une liberté comme étant sans normes, donc sans faute ; cette séduction est trompeuse. Car il existerait une certaine réglementation et une certaine normalisation.

La graphie "K" rend le créole sans passé, en niant son lien avec le français et le latin, telle une créature bâtarde de l'histoire en mal de légitimité, sans racines et peut-être en cela sans futur.

L'écriture phonétique n'est qu'une écriture technique à des buts limités. A Maurice, elle est empreinte d'une vision idéologique qui entraînerait des conséquences graves pour la génération de demain. Pourtant, les journaux parus à Maurice s'adonnent de plus en plus à cette graphie, une pratique que nous ne pouvons que regretter et condamner fermement. Elle ne conduira qu'à l'aliénation du peuple et provoquera une grande fracture linguistique entre ceux qui maîtrisent les langues internationales et ceux réduits à la seule langue créole phonétique. Dût-on l'écrire, le créole doit impérativement retrouver sa graphie traditionnelle. La presse écrite, qui a joué un rôle primordial dans la défense de la démocratie et la construction de la nation mauricienne est aussi le gardien de la forme littéraire de notre société. Elle doit assumer cette fonction de manière responsable.

Riyad Dookhy

Barrister (Londres)

(Publié in Le Mauricien, 23 et 24 septembre 2010, forum)

17 sept. 2010

Le profil dictatorial de certains discours politiques

La sphère du discours public mauricien est marquée par la parole politique. Celle-ci étend son ombre de façon quasi-totale sur la plateforme publique de sorte qu'elle se révèle comme peut-être l'unique mode de débat au détriment d'autres façons de discourir. Cet état de choses ne peut, pour autant, garantir une parole publique instruite, transparente et concertée qui traite de vrais problèmes d'une nation.

De même, le programme des discussions qui doivent retenir l'espace public est souvent déterminé par un choix politique. Ce choix s'exerce selon les intérêts en question et non selon l'intérêt des citoyens proprement dit. Ce qui est " politiquement correct " emporte nécessairement sur ce qui fâche. Il est logique que le discours politique écarte de son répertoire des sujets qui aliéneraient son électorat. Mais, en cela, bien des aspects importants du destin mauricien restent sous une ombre opaque sans bénéficier d'une discussion citoyenne ou nationale. Ainsi, l'on éviterait de parler de la montée de la criminalité mauricienne, ou de la brutalité policière dans ses proportions réelles, qui d'ailleurs nécessiteraient des enquêtes sur des services chargés de l'ordre public, les choix et décisions de ceux-ci ainsi que les personnes responsables.

D'autre part, des citoyens pourraient avoir le sentiment que certaines institutions sont en porte-à-faux au regard du respect des droits de l'homme. Rappelons que la force publique appartient au peuple et la police n'est qu'un mandataire de celui-ci dans un cadre de stricte légalité et de respect des droits. Il incombe au premier ministre et au gouvernement d'enquêter et de sanctionner ; pourtant, ici, ils semblent témoigner de laxisme. Il existe ainsi des problématiques qui touchent aux graves atteintes d'un État (aspirant à devenir un État de droit) qui ne sont pas en rapport avec l'agora dans ses proportions réelles, de façon informée et transparente. Maurice malheureusement n'aurait pas atteint le statut d'un véritable État de droit.

La discussion de l'État de droit mauricien, et les obligations étatiques que cela entraînerait, ne sont pas à l'agenda public, même si tous les maux qui rongent la société mauricienne à l'heure actuelle interpellent ce débat. Sur d'autres plans, le citoyen mauricien ne sait pas ce qui se conclut par le gouvernement au niveau international avec des pays comme l'Inde ou autres, des États qui nourrissent peut-être des ambitions qui pourraient porter atteinte à notre souveraineté nationale.

A cela, la société civile mauricienne, et, plus rarement, sa parole élitaire apolitique, se prononce, s'entend et s'écoute sur la place publique de façon secondaire, comme d'une immixtion qui troublerait ce discours politique prépondérant.

Si elle est timide, cette parole civile a su récemment mener une bataille tendant à préserver l'institution démocratique de l'île Maurice contre le discours d'un ministre du gouvernement qui aurait prôné que le pouvoir étatique résiderait dans une "section" d'une communauté uniquement, au grand dam des principes, tel celui qui fait de tout ministre un représentant de la population mauricienne entière. L'on pourrait légitimement avoir le sentiment que les propos imputés à ce ministre ont bénéficié d'une certaine indulgence du Premier ministre qui n'a pu apporter une sanction réelle… Tous les autres membres du gouvernement seraient tout autant complaisants, semble-t-il.

Or, force est de constater que la parole publique mauricienne est caractérisée par les deux traits dominants comme suit : un "discourir tout-politique" au profil dictatorial et un besoin nécessaire d'affermissement de la structure pensante de la société civile (par opposition à la structure politique). Il est grand temps que la société civile pensante se fasse entendre fermement en vue d'instaurer l'équilibre requis dans l'espace public. Elle interviendrait comme contrôle de l'action gouvernementale, monitoring d'autant plus nécessaire dans le contexte mauricien qui ne connaît pas une véritable mise en responsabilité du gouvernement tant au niveau politique que juridique, bien que celle-ci fut quelque peu prévue par les institutions dont nous avons héritées. Dans ce jeu du politique mauricien aux partis qui s'allient et se désunissent en une logique du pouvoir, et non en une logique de l'action, le "tiers état", le peuple, ou le citoyen, tout comme le véritable intérêt national, sont quelque peu les " oubliés " ou les ratés de l'histoire. Le discours politique mauricien en l'état actuel, s'il instaurait en apparence un certain débat public, ne peut garantir une vraie discussion démocratique réelle tant il est soumis aux aléas politiques au niveau local.

Ces observations sont d'autant plus pertinentes même si le discours politique mauricien est parfois houleux dans son verbe ; rien ne garantit l'échafaudage d'un débat transparent et éclairé. Bien au contraire, dans les tons et langages vulgaires de certains politiciens mauriciens, au dessous du seuil de la simple civilité citoyenne, qui répondent à des intérêts individuels des orateurs, rien ne permet un éclairage du peuple. Ces politiciens "vulgaires" mettent ainsi en œuvre un jeu politique évacué de toute sa fonctionnalité essentielle. C'est un abus de la confiance du peuple et de l'institution démocratique

La sphère du discours public mauricien est marquée par la parole politique. Celle-ci étend son ombre de façon quasi-totale sur la plateforme publique de sorte qu'elle se révèle comme peut-être l'unique mode de débat au détriment d'autres façons de discourir. Cet état de choses ne peut, pour autant, garantir une parole publique instruite, transparente et concertée qui traite de vrais problèmes d'une nation.

De même, le programme des discussions qui doivent retenir l'espace public est souvent déterminé par un choix politique. Ce choix s'exerce selon les intérêts en question et non selon l'intérêt des citoyens proprement dit. Ce qui est " politiquement correct " emporte nécessairement sur ce qui fâche. Il est logique que le discours politique écarte de son répertoire des sujets qui aliéneraient son électorat. Mais, en cela, bien des aspects importants du destin mauricien restent sous une ombre opaque sans bénéficier d'une discussion citoyenne ou nationale. Ainsi, l'on éviterait de parler de la montée de la criminalité mauricienne, ou de la brutalité policière dans ses proportions réelles, qui d'ailleurs nécessiteraient des enquêtes sur des services chargés de l'ordre public, les choix et décisions de ceux-ci ainsi que les personnes responsables.

D'autre part, des citoyens pourraient avoir le sentiment que certaines institutions sont en porte-à-faux au regard du respect des droits de l'homme. Rappelons que la force publique appartient au peuple et la police n'est qu'un mandataire de celui-ci dans un cadre de stricte légalité et de respect des droits. Il incombe au premier ministre et au gouvernement d'enquêter et de sanctionner ; pourtant, ici, ils semblent témoigner de laxisme. Il existe ainsi des problématiques qui touchent aux graves atteintes d'un État (aspirant à devenir un État de droit) qui ne sont pas en rapport avec l'agora dans ses proportions réelles, de façon informée et transparente. Maurice malheureusement n'aurait pas atteint le statut d'un véritable État de droit.

La discussion de l'État de droit mauricien, et les obligations étatiques que cela entraînerait, ne sont pas à l'agenda public, même si tous les maux qui rongent la société mauricienne à l'heure actuelle interpellent ce débat. Sur d'autres plans, le citoyen mauricien ne sait pas ce qui se conclut par le gouvernement au niveau international avec des pays comme l'Inde ou autres, des États qui nourrissent peut-être des ambitions qui pourraient porter atteinte à notre souveraineté nationale.

A cela, la société civile mauricienne, et, plus rarement, sa parole élitaire apolitique, se prononce, s'entend et s'écoute sur la place publique de façon secondaire, comme d'une immixtion qui troublerait ce discours politique prépondérant.

Si elle est timide, cette parole civile a su récemment mener une bataille tendant à préserver l'institution démocratique de l'île Maurice contre le discours d'un ministre du gouvernement qui aurait prôné que le pouvoir étatique résiderait dans une "section" d'une communauté uniquement, au grand dam des principes, tel celui qui fait de tout ministre un représentant de la population mauricienne entière. L'on pourrait légitimement avoir le sentiment que les propos imputés à ce ministre ont bénéficié d'une certaine indulgence du Premier ministre qui n'a pu apporter une sanction réelle… Tous les autres membres du gouvernement seraient tout autant complaisants, semble-t-il.

Or, force est de constater que la parole publique mauricienne est caractérisée par les deux traits dominants comme suit : un "discourir tout-politique" au profil dictatorial et un besoin nécessaire d'affermissement de la structure pensante de la société civile (par opposition à la structure politique). Il est grand temps que la société civile pensante se fasse entendre fermement en vue d'instaurer l'équilibre requis dans l'espace public. Elle interviendrait comme contrôle de l'action gouvernementale, monitoring d'autant plus nécessaire dans le contexte mauricien qui ne connaît pas une véritable mise en responsabilité du gouvernement tant au niveau politique que juridique, bien que celle-ci fut quelque peu prévue par les institutions dont nous avons héritées. Dans ce jeu du politique mauricien aux partis qui s'allient et se désunissent en une logique du pouvoir, et non en une logique de l'action, le "tiers état", le peuple, ou le citoyen, tout comme le véritable intérêt national, sont quelque peu les " oubliés " ou les ratés de l'histoire. Le discours politique mauricien en l'état actuel, s'il instaurait en apparence un certain débat public, ne peut garantir une vraie discussion démocratique réelle tant il est soumis aux aléas politiques au niveau local.

Ces observations sont d'autant plus pertinentes même si le discours politique mauricien est parfois houleux dans son verbe ; rien ne garantit l'échafaudage d'un débat transparent et éclairé. Bien au contraire, dans les tons et langages vulgaires de certains politiciens mauriciens, au-dessous du seuil de la simple civilité citoyenne, qui répondent à des intérêts individuels des orateurs, rien ne permet un éclairage du peuple. Ces politiciens "vulgaires" mettent ainsi en œuvre un jeu politique évacué de toute sa fonctionnalité essentielle. C'est un abus de la confiance du peuple et de l'institution démocratique

Riyad Dookhy

Avocat à Londres


(In Le Mauricien du 16 et 17 septembre 2010 (forum)

17 juin 2010

Orientations à la réforme constitutionnelle

Le nouveau Gouvernement a renouvelé sa volonté d’ouvrir un chantier de réforme constitutionnelle et de surcroît électorale. Plus de quarante ans après notre accession à l’Indépendance, il y a peut-être lieu de raffermir notre Constitution en lui donnant davantage de consistance. Nous avons en effet hérité d’une Constitution reflétant un certain équilibre du modèle de Westminster tout en étant bien embryonnaire dans ses articulations.

Un certain nombre de préalables sont nécessaires à la réalisation d’une révision constitutionnelle susceptible de susciter une grande adhésion du peuple et de ses représentants. L’équilibre institutionnel doit être préservé tout en renforçant l’acquis démocratique et le caractère de l’Etat de droit. Il est impératif de faire consacrer des avancées constitutionnelles avec une grande prudence et délicatesse. La réforme, notamment en ce qui concerne son volet électoral, doit être adoptée avant la mi-mandat du gouvernement de manière à ce qu’elle n’apparaît pas comme un changement du jeu politique à l’approche des élections, ce qui est toujours suspicieux.

L’élection indirecte du Président

Nous avons à Maurice, un système politique dit « parlementaire » inspiré du modèle de Westminster. Ce système, souvent opposé au régime présidentiel, est caractérisé par un rapport équilibré et mutuel entre le Parlement et le Gouvernement. Ce dernier est issu des rangs des députés majoritaires et est collectivement responsable devant l’Assemblée. Le Chef de l’Etat, quant à lui, ne conserve qu’une fonction arbitrale en cas de crise et, pour le reste, protocolaire. Est-il temps de changer de régime, comme cela a été évoqué durant la dernière campagne?

Il a été question de faire évoluer notre régime vers un système présidentialiste, ou semi-présidentiel, à la française. Le terme de régime présidentiel a été utilisé à tort, car il correspond plus au modèle institutionnel américain. Pour la présidentialisation de notre régime, il suffirait de procéder à trois changements : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (le peuple vote et choisit le Président), faire du Chef de l’Etat le président du conseil des ministres (cabinet meeting) et de lui accorder un droit autonome de dissolution de l’Assemblée Nationale. Fort de sa légitimité démocratique, le Président aurait un rôle accru dans la définition de la politique de la nation et celle-ci serait conduite et mise en application seulement par le Premier ministre et son gouvernement. Le Premier ministre, qui est maintenu, serait alors tout à la fois responsable, juridiquement devant le Parlement, et, politiquement devant le Chef de l’Etat.

Il est fort probable que Paul Bérenger ait été tenté par cette formule. Il a peut-être dû penser que c’était un moyen plus aisé pour lui d’accéder de nouveau à la primature. Il se peut que Navin Ramgoolam y soit favorable également. Ce serait alors éventuellement une technique pour lui de se maintenir aux responsabilités après trois mandats et dont deux consécutifs.

Ce bicéphalisme, qui peut paraître attrayant, parce qu’il permet au Président de jouer un plus grand rôle, et en particulier sur la scène internationale, risque de bouleverser l’équilibre institutionnel nécessaire à la mise en place d’une politique gouvernementale sur le long terme. Avec le multipartisme tel que nous la connaissons, l’on pourrait aisément aboutir à une paralysie des institutions si le Président et le Premier ministre ne sont pas du même bord politique ou sont en concurrence. Pays émergeant, Maurice ne peut se permettre le luxe d’une cohabitation conflictuelle à la tête de l’Etat. Il y aurait un risque que les deux légitimités, Président et Premier ministre, s’affrontent. Les deux auraient une légitimité populaire.

Néanmoins, l’on pourrait accorder un véritable statut intermédiaire au Chef de l’Etat. Actuellement le Président n’est que le successeur du Gouverneur-général. Il est choisi, en toute discrétion, par le Premier ministre seul et ce choix est ratifié par l’Assemblée Nationale. Nul ne peut faire acte de candidature à cette fonction. Il faudrait qu’il y ait une vraie élection, que des personnalités puissent faire acte de candidature librement. Dans une République moderne, le Président doit être élu pour une raison tout simplement démocratique et pour lui conférer l’autorité de sa fonction. Dans notre cas, il pourrait l’être par un suffrage universel indirect, c'est-à-dire par un collège composé de députés (éventuellement de sénateurs si ces fonctions sont créées), de chefs des administrations locales (maires, présidents des districts et assemblée de Rodrigues) pour éviter un conflit de légitimité entre lui et le Premier ministre. Il faut un véritable suffrage et des candidats potentiels qui s’affrontent.

Une élection du Président au suffrage indirect impliquerait de manière corolaire une réforme du Parlement.

Le Parlement bicaméral

Nous disposons d’un Parlement monocaméral, d’une seule chambre. Dans le système de Westminster et comme dans les grands pays, le Parlement se compose de deux chambres. Une première, la chambre dite basse, représente la voix du peuple et la deuxième, la chambre haute, représente, selon les cas, soit des collectivités soit la sagesse de l’homme politique mûri. La création d’un Sénat, deuxième chambre parlementaire, est un thème récurrent des campagnes électorales depuis 1995.

Instauration d’un Sénat

L'intérêt d’un Sénat est multiple. Il est toujours utile de faire usage de l'expérience des femmes et hommes politiques qui ont dirigé le pays. En général, la deuxième chambre comporte en son sein des personnalités expérimentées qui pourraient tempérer des changements hasardeux et donner un meilleur éclairage à l’orientation politique. Aussi, la deuxième chambre reflèterait-elle un rapport de force différent dans le pays, ce qui pourrait modérer toute victoire écrasante d'un bloc sur un autre si son renouvellement a lieu à une période différente. Elle permettrait de consolider la démocratie. S’agissant de la désignation des sénateurs, la nomination, proposée par Paul Bérenger, est à écarter d’emblée car elle est contraire au principe démocratique. A l'image de ce qui existe ailleurs dans le monde, le mode de scrutin pourrait être différent de celui en vigueur pour l’élection des députés. Il pourrait, lui, être proportionnel même intégralement. Car, la deuxième chambre devrait avoir des pouvoirs légèrement inférieurs à celui de l'Assemblée Nationale. En particulier, le gouvernement ne serait pas responsable devant elle et en cas de désaccord entre l’Assemblée Nationale et la deuxième chambre sur l’adoption d’un texte de loi, le Premier ministre pourrait demander à l’Assemblée d’adopter de manière définitive le texte. L’on pourrait alors permettre, sans risque pour la stabilité gouvernementale, une représentation de tous les courants de la société et une élection des sénateurs à la proportionnelle atténuerait les effets écrasants du système majoritaire à un tour (first past the post) pratiqué pour l’élection des députés. Le nombre de sénateurs pourrait être limité à une quarantaine. L’on pourrait également permettre à ce qu’un nombre limité de ministres soient issus de leur rang.

Un Sénat élu à la proportionnelle mettrait fin au débat sur l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée Nationale. La stabilité politique à la chambre des députés est nécessaire pour un pays émergeant. Or, la proportionnelle à l’Assemblée est malheureusement réputée pour être un facteur du fractionnisme. Elle y permettrait l’émergence de trop de petits partis. Déjà nous avons sept partis représentés à l’Assemblée. Au sein de la majorité, si elle est faible, les petits partis pourraient faire du chantage au gouvernement, leur soutien étant conditionné à l’application essentiellement d’une revendication. Au Sénat, la proportionnelle n’aurait un tel effet néfaste eu égard aux pouvoirs qui seraient conférés aux sénateurs.

Renforcer l’Assemblée Nationale

Néanmoins, le nombre de députés à l’Assemblée doit être augmenté. Une soixantaine d'élus n'est pas suffisante pour diriger un pays. Grands ou petits, les pays ont en général une trentaine de membres du gouvernement (ministres et secrétaires parlementaires privés). A Maurice, tous les membres du gouvernement, sauf l'Attorney-Général, sont des élus, ce qui fait que presque la moitié des députés compose le gouvernement. Il ne reste que l'autre moitié (opposition/majorité confondues) pour contrôler l'action du gouvernement et faire des propositions. Ce n'est pas suffisant. Il y a lieu d'accroître le nombre de députés. On peut aussi ajouter éventuellement un député par continent pour représenter les mauriciens de l’étranger (ils n’ont pas le droit de vote actuellement). L’on doit passer, pour que l’Assemblée nationale puisse fonctionner à bon escient, à une centaine de députés (4 par circonscription, 5 à 10 de l’étranger, 3 de Rodrigues, 8-10 best-Loser). Dans une assemblée, il faudrait qu’il y ait des commissions permanentes chargées de contrôler l’action du gouvernement sur les grands secteurs. Notre Assemblée est encore trop embryonnaire. L’activité parlementaire ne se réduit pas à la seule opposition au gouvernement.

Le Best Loser

Il reste l’épineuse question du Best Loser System. L'abolition du Best Loser system est tout aussi aventureuse que dangereuse. En théorie, ce système est condamnable. Mais comme l'avait dit le Pr A. De Smith, rédacteur de notre Constitution en 1968, c'est un mal nécessaire. Le Best Loser a permis une coexistence pacifique des communautés. Il serait risquant, si à l'issue d'une consultation démocratique, une communauté n'obtienne pas de représentants suffisants à l’Assemblée nationale. L'histoire récente en Afrique des guerres ethniques, et ailleurs dans le monde, nous enseigne de la nécessité d'avoir un équilibre communautaire au sein de la représentation nationale. Aucune communauté ne doit souffrir d'un manque d'élus nationaux. Le système des meilleurs perdants est bien ancré historiquement. Le Best Loser corrige une éventuelle défaillance. Il n’est en soi pas un facteur d’accentuation du communautarisme. Toutefois, il faudrait permettre à ceux qui souhaitent faire acte de candidature sans vouloir indiquer leur appartenance ethnique de pouvoir le faire, quitte à ce qu’ils soient ensuite inéligibles à l’attribution des sièges de meilleurs perdants. Enfin, de manière à donner au Best Loser System un nouveau souffle, on pourrait imaginer que les sièges meilleurs perdants soient prioritairement attribués aux femmes candidates battues en prenant en considération leur appartenance ethnique.

Telles sont les judicieuses réformes nécessaires à la modernisation de nos institutions politiques. Il va de soi également que notre charte des droits et libertés mérite tout autant une mise à jour. Des droits et libertés des nouvelles générations doivent être énoncés.

Publié in Le Mauricien du 17 juin 2010 (Forum)

Parvèz DOOKHY

17 mai 2010

Les sept erreurs de Paul

La défaite du Mouvement militant mauricien (et de ses deux mouvements satellites) aux dernières élections législatives était bien prévisible pour tout observateur aguerri de la vie politique de Maurice. Les causes en sont multiples mais je pense sincèrement qu’elles ne sont en rien liées à un reflexe communautariste de l’électorat en raison de l’appartenance ethnique minoritaire de Paul Bérenger et ce malgré la prise de position des associations socioreligieuses en faveur des uns et des autres. L’on était plus dans la configuration politique de 1983. Paul Bérenger est désormais un ancien Premier ministre et aucun des dirigeants de l’Alliance de l’Avenir n’a fait allusion de près ou de loin à son appartenance ethnique ou physique. C’est Paul Bérenger lui-même qui a constamment tenté de se victimiser de la sorte. C’est une posture qui n’a pas porté ses fruits.

Sa défaite, aussi cruelle qu’elle puisse être au regard de son parcours et engagement politiques, est la conséquence d’au moins de sept erreurs stratégiques.

1. La première erreur tactique du MMM était de se séparer du Mouvement socialiste mauricien, l’autre composante de l’Opposition lors de la précédente législature. Le leader du MMM a manqué à toutes les occasions pour se rapprocher tactiquement du MSM et notamment lors des partielles dans la circonscription de Moka en 2009. En ralliant la grande famille militante, l’Opposition aurait créé une meilleure dynamique et une synergie. Paul Bérenger lui-même le sait et le dit à ses proches que la dissidence du MSM dirigée par Ashock Jugnauth était bien insignifiante politiquement.

2. Paul Bérenger, malgré ses quarante années d’expérience politique à son actif, s’est bien fait leurrer par Navin Ramgoolam. Il a cru sérieusement à la possibilité de concrétisation d’une alliance entre le MMM et le Parti Travailliste alors qu’il était Leader constitutionnel de l’Opposition. Ce qui a eu pour conséquence une mise en veilleuse des critiques de l’Opposition institutionnelle à l’encontre du gouvernement alors que celui-ci était à la fin de son mandat et dans une situation bien difficile au regard de l’insécurité et de l’atteinte à l’ordre public. En procédant ainsi, le MMM a perdu toute crédibilité pour critiquer le Parti Travailliste ou le gouvernement sortant ensuite. Comment critiquer celui avec qui l’on a voulu s’allier ? Or, il était d’emblée bien évident que Navin Ramgoolam n’allait pour rien conclure une alliance avec le MMM pour avoir Paul Bérenger comme le n° 2 d’un éventuel gouvernement. Car Paul Bérenger allait jouait au Premier ministre par intérim hyper actif en son absence d’autant qu’il est avant tout aussi un ancien Premier ministre. La stabilité et la continuité offertes par Rashid Beebeejaun étaient bien trop précieuses pour que Navin Ramgoolam puisse prendre un tel risque.

3. Le MMM avait au moins 5 années pour préparer son programme électoral alternatif, le temps qu’il était dans l’opposition lors de la précédente législature. Paul Bérenger avait institué des commissions au sein de son parti mais à part celle sur l’économie, aucune d’entre elles n’a été productive ! Le parti n’a pu présenter son programme que 10 jours seulement avant la date du scrutin ! Le programme n’était ni suffisamment attrayant ni crédible tant les mesures ont été annoncées à la hâte et sans grande conviction. Et aucune étude de faisabilité n’était présentée au peuple. Paul Bérenger lui-même avait fini par reconnaître que ce n’était qu’un recueil d’intentions… Pour le gouvernement sortant, la situation était bien différente en ce qu’il s’agit du programme parce qu’il avait avant tout un bilan relativement honorable à défendre. Il pouvait reléguer le programme au second plan ! Il en va de même pour les slogans bien fades et non séducteurs présentés par le parti, à savoir « Pour une autre l’île Maurice », ce qui n’était qu’une définition négative d’un projet de société. Aucune place n’était faite au développement, à la modernité, au confort matériel, ce à quoi aspire le mauricien en priorité.

4. La présence et le rôle attribué à Ashok Jugnauth était une faute de casting grave. Ashok Jugnauth a été condamné par la Cour suprême de Maurice, puis la décision a été confirmée par le Conseil Privé de la Reine et finalement par le peuple lui-même d’une certaine manière lors des élections partielles de 2009. Paul Bérenger ne pouvait valablement annoncer comme thème de campagne la lutte contre la corruption alors que son futur vice premier ministre était lui-même condamné par les plus hautes instances du pays pour des faits de fraude et de corruption fussent-ils de nature électorale ! Ashok Jugnauth était un élément bien handicapant de son équipe !

5. Sur ce même registre, le choix des candidats n’a pas été toujours judicieux. Paul Bérenger a fait appel à des personnalités soit dépassées soit complètement absentes de la scène politique pour briguer le suffrage dans certaines circonscriptions. Ce fut notamment le cas dans la circonscription n° 3 où il devait absolument rafler la mise pour pouvoir former le gouvernement. Aussi le déploiement des candidats était-il peu adéquat. Vishnu Lutchmeenaraidoo, vu le rôle qu’il devait occuper dans le dispositif, devait avoir une circonscription bien plus sûre. Enfin, l’équipe présentée, qualifiée de top team, n’était pas suffisamment représentative de la diversité mauricienne. Malgré l’absence du facteur communautariste, l’équipe gouvernementale n’était pas ethniquement équilibrée. Paul Bérenger aurait dû présenter un membre de la communauté majoritaire ayant une grande autorité morale comme l’éventuel Président de la République et non Jayen Cuttaree.

6. Paul Bérenger a commis trop de dérapages verbaux. Il n’avait pas droit, vu son origine ethnique, de tomber dans l’insulte et l’utiliser comme argument de campagne. Certes, la télévision nationale a exploité à outrance ces dérapages, mais Paul Bérenger devait se contenir et se comporter comme un homme d’Etat. Ses adversaires n’ont même pas eu besoin d’insister, à tort ou à raison, sur le caractère colonialiste d’un tel comportement tant il était choquant. Paul Bérenger devait rester digne dans l’offre d’alternance.

7. Le MMM a eu tort de ne pas être implanté à l’île Rodrigues. Cette île fait partie du territoire de la République et tout parti national doit y être quitte à ce qu’une cellule rodriguaise soit animée par des rodriguais. Les deux sièges à pourvoir à Rodrigues pouvaient et pourraient être déterminants dans la conquête du pouvoir par le MMM.

Telles sont, me semble-t-il, les raisons primordiales de la déroute électorale du MMM. Il serait peu judicieux que le MMM continue de fonctionner comme à son accoutumée. Après une cascade de défaites électorales depuis au moins 2003 (partielles de 2003, générales de 2005, municipales de la même année, partielles de 2009 et générales de 2010), le parti doit travailler à sa refondation et revoir de manière structurelle sa stratégie de conquête du pouvoir. Je sais que la tentation est grande à l’actuelle opposition d’attendre une éventuelle cassure de l’Alliance gouvernementale pour pouvoir y faire son entrée. Une telle stratégie est bien piètre. Le discours de l’Opposition doit tout autant être modernisé, séduisant et constructif.

Parvèz DOOKHY

Publié in Le Mauricien du 20 mai 2010 (Forum)

29 avr. 2010

Entretien de Parvèz Dookhy avec Gilles Ribouet, Journal l'Express

1/ Pensez-vous que les leaders politiques actuels seraient tentés d'aller vers un régime semi-présidentiel?

L’idée n’est pas nouvelle. Paul Bérenger l’avait déjà proposé dans les années 80. Il s’agit en fait d’un régime à la française. Le Président a plus de pouvoirs ou plutôt un rôle accru dans la définition (et la conduite) de la politique de la nation. Les leaders politiques sont peut-être tentés d’instaurer ce régime mais je pense que ce ne sont pas pour les mêmes raisons. Navin Ramgoolam peut trouver dans ce régime un moyen de rester aux commandes après deux mandats consécutifs (s’il remporte les élections du 5 mai). Il sera ainsi élu au suffrage universel en tant que président, en laissant le gouvernement à quelqu’un de plus jeune. Pour Paul Bérenger, je pense que c’était un moyen pour redevenir Premier ministre plus facilement. Il me semble que cette idée était évoquée dans le cadre d’une alliance PTR/MMM qui n’a pas eu lieu. Avec une telle alliance, ils allaient remporter une très large majorité, Navin Ramgoolam redevenait Premier ministre le temps nécessaire avant l’adoption de la réforme et Président élu après et Paul Bérenger le succédait comme Premier ministre. C’était pour Paul Bérenger une bonne solution pour les raisons qu’on pourrait aisément comprendre.

2/ Est-ce que cela mènerait obligatoirement vers une IIe république?

C’est de la sémantique. Ce n’est pas obligé. En France, le système semi-présidentiel est apparu dans le cadre d’une évolution sans changer de République. C’est une évolution de la Vème République qui a donné naissance au régime semi-présidentiel. Ce qui est sûr, c’est qu’on va se démarquer du système parlementaire westiminstérien actuel. Le centre du pouvoir risque de graviter autour du Président et non plus le premier ministre qui servira de fusible (quand ça va mal, le premier ministre est vite remplacé pour un nouveau départ). Dans le système westminstérien (parlementaire classique), le Premier ministre est responsable devant le Parlement. Dans le système semi-présidentiel, le Président est responsable devant le peuple et le premier ministre est constitutionnellement responsable devant le parlement mais politiquement il l’est devant le Président.

3/ Aller vers un régime semi-présidentiel n'est-il pas une façon d'aller vers la réforme électorale tant attendue et débattue pour en finir avec le problème des communautés?

Je ne le pense pas. Si on élit le Président au suffrage universel et qu’il devient l’homme fort de l’exécutif, les lobbys nous diront aisément qu’il faut être issu de l’ethnie majoritaire pour ce poste. Et pour équilibrer, le Premier ministre pourra, lui, être issu d’une ethnie minoritaire (un peu comme pour le vice premier ministre actuellement). Ce serait simplement transférer le problème.

4/ Devrait-il y avoir obligatoirement la création d'une seconde chambre parlementaire, comme un Sénat, un conseil des Sages?

Une deuxième chambre parlementaire devrait permettre de mieux contrôler l’action du gouvernement et débattre des projets de lois. Il faudrait alors une navette entre les deux chambres parlementaires avant l’adoption d’une loi. Néanmoins, je suis contre la nomination des sénateurs telle que proposée par l’Alliance du Cœur. Parce qu’au lieu de renforcer le pouvoir du parlement, c’est le pouvoir du Premier ministre qui se trouve renforcé : il appartiendrait au Président et Premier ministre essentiellement de nommer les sénateurs, le président étant lui-même nommé par le Premier ministre. Autrement dit, le Premier ministre nommerait que ceux qui n’agissent que par sa volonté. Personnellement je suis pour une élection au suffrage indirect des sénateurs. La séparation des pouvoirs est le fondement du régime. On pourrait imaginer un système dans lequel ce sont les élus locaux (municipaux et de district et des députés) qui élisent les sénateurs selon un scrutin proportionnel. Les sénateurs ne doivent pas avoir plus de légitimité politique et démocratique que les députés. Si non le système pourrait devenir instable. Mais la nomination est une farce à la démocratie ! La proportionnelle permettrait de reproduire le rapport des forces entre partis politiques au Sénat.

5/Quelles réformes constitutionnelles seraient selon vous nécessaires pour moderniser les institutions mauriciennes ?

Il faudrait de petites retouches pour mieux les faire fonctionner. Je pense qu’il faut augmenter le nombre des députés à l’Assemblée nationale. Actuellement la moitié des députés (30 à 35 députés) est occupée à des fonctions administratives ou ministérielles au sein de l’Assemblée (ministre, private parliamentary secretary, whip, speaker et ses suppléants etc.). Il n’y a pas assez de députés (à plein temps) pour contrôler l’action du gouvernement et composer des commissions permanentes. Il faudrait passer à une centaine de députés (4 par circonscription). On peut aussi ajouter éventuellement un député par continent pour représenter les mauriciens à l’étranger (ils n’ont pas le droit de vote actuellement). Le Président de la République devrait être élu (actuellement il est choisi par le Premier ministre et l’Assemblée ratifie ce choix) par l’ensemble des députés et chefs des administrations locales (maires, présidents des conseils de district, assemblée de Rodrigues). Le Président pourrait peut être jouer un plus grand rôle sur la scène internationale. L’équilibre fondamental ne changerait pas ainsi. Pour le Sénat, il n’aura de sens et une certaine légitimité que si les sénateurs sont élus indirectement comme je l’ai indiqué.

In L'Express du 29 avril 2010

8 mars 2010

Orienter la réforme pénale


Les pénalistes ont toujours appelé de leur vœu une réforme de la procédure pénale, mais force est de constater qu’ils n’ont pas su démontrer leur capacité à adopter une position commune sur le projet de réforme initié par le gouvernement. Le projet est insuffisant sur bien des points et nécessite un profond remaniement. Certes, il comporte, du moins en apparence, des avancées significatives, notamment en ce qui concerne l’intervention et le rôle de l’avocat en garde à vue, l’affermissement du principe du contradictoire au cours de la phase de jugement ou bien encore la suppression du juge d’instruction. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la procédure pénale française même observée sous le prisme de la réforme, reste loin des exigences posées par les organes de justice européens et plus généralement des normes européennnes des grands pays tiers.

Une réflexion différente doit s’engager sur la refonte du processus judiciaire. Il est impératif que ce nouveau chantier législatif comprenne, dans une perspective d’harmonisation européenne, un certain nombre d’axes essentiels de réforme en vue d’atteindre un standard acceptable pour une administration de la justice rénovée. A ce titre, le régime de la garde à vue doit changer fondamentalement. Il apparaît tout aussi nécessaire que les audiences et auditions soient retranscrites intégralement. Nous appelons à la création d’un corpus du droit de la preuve en matière pénale. Enfin, le parquet doit retrouver sur la scène judiciaire la place qui est la sienne eu égard à sa fonction d’accusateur et à sa culture statutaire de hiérarchisation vis-à-vis du pouvoir executif.

La garde à vue telle qu’elle est pratiquée en France, reste une pratique bien moyenâgeuse. Déjà dans une circulaire du 11 mars 2003 Nicolas Sarkozy lui-même écrivait : « Trop souvent encore, les conditions matérielles dans lesquelles les personnes gardées à vue sont retenues ne sont pas dignes d’une démocratie moderne ». L’accroissement des pouvoirs conférés à l’avocat n’entraîne aucun effet mécanique sur l’humanisation des conditions de la détention. Le Code de procédure pénale et les circulaires d’application ont su faire preuve d’un grand mutisme sur les conditions matérielles de vie en garde à vue. Cependant il convient de dresser l’état des lieux du délabrement des cellules de garde à vue mal entretenues envahies d’odeurs nauséabondes parce que non ventilées auxquelles s’ajoute l’absence de chauffage. Le gardé à vue est par conséquent amené à passer la nuit dans de telles conditions, sans couvertures ou s’il en dispose elles ont été trop utilisées pour remplir les conditions d’hygiène élémentaire. Il doit se résoudre à dormir à même le sol ou sur un banc alors que la température extérieure peut être inférieure à zéro. Il doit apprendre à négocier avec le policier l’accès aux toilettes, le droit à une cigarette s’il est fumeur. Pire encore, rien n’est prévu dans le Code sur la possibilité pour le gardé à vue, dont la durée peut atteindre comme chacun sait 96 heures dans certains cas, sur la possibilité de se laver. Tout ce régime s’apparente à une forme subtile de torture ou de pression qui n’a pour objectif que de faire céder le gardé à vue afin qu’il passe aux aveux. Ce même constat vaut pour les dépôts (ou souricières), zone d’attente où sont stationnés les mis en cause après une garde à vue avant leur audition par un magistrat. Il est de ce fait plus qu’urgent de changer drastiquement les conditions matérielles de privation de liberté du gardé à vue d’autant que cette période est reconnue de l’avis des gardés à vue comme étant une des plus difficiles dans la phase de privation de liberté.

L’actuelle réforme ne peut prétendre progresser vers un droit moderne digne des standards européens sans avoir prévu la mise en œuvre d’un ensemble de mesures visant à améliorer ostensiblement les conditions matérielles de vie du gardé à vue.

Par ailleurs, la procédure pénale française comporte une autre lacune fondamentale et peu connue de certains pénalistes : l’absence d’établissement des déclarations verbatim du mis en cause. A tous les stades de la procédure, les déclarations du mis en cause sont retranscrites (c’est-à-dire reformulées) soit par le policier rédacteur du procès-verbal soit sous la dictée du magistrat instructeur par le greffier. A la phase de jugement, le greffier n’établit que des notes d’audiences, en réalité un résumé rapide de la position des uns et des autres. Or, pour l’équité et la loyauté d’un procès, toute déclaration doit être verbalisée intégralement. Selon la pratique actuelle, le policier ou le juge d’instruction entame préalablement une discussion avec le mis en cause et ensuite décide de la rédaction du procès verbal. Ils reformulent, à supposer objectivement, du moins librement les déclarations de l’intéressé dont certaines subtilités ou nuances ont pu être évacué de l’écrit. Cette méthode est bien contestable. Ainsi les questions pièges du policier ne sont pas notées. Le policier peut aisément, lorsqu’il procède à la notification des droits, dissuader oralement le gardé à vue de demander l’intervention d’un avocat faisant ainsi valoir la simplicité et la rapidité de la procédure. Au cours de la phase du jugement, il est tout aussi important qu’une transcription intégrale des déclarations de tous les acteurs du procès soit établie. Les simples notes d’audience ne permettent pas véritablement au juge d’appel ou de cassation d’exercer son contrôle. Nous avons tous en mémoire le dérapage verbal du juge dans l’affaire Omar Raddad mais ceci n’a pas été verbalisé. A titre de comparaison, en Angleterre et dans les pays de Common Law, les déclarations sont établies par un sténographe officiel pour être retranscrites intégralement et exactement (comme cela se fait au sein des assemblées parlementaires) dans un document intitulé « trial transcript ». Lorsqu’une transcription intégrale existe, tout dérapage verbal d’un juge ou des parties laisse des traces et peut être sanctionné. Une procédure pénale moderne et de qualité doit être aussi traçable que possible car il y va du respect de la liberté individuelle. Les procédés techniques actuels permettent aisément l’enregistrement de toute forme de procédure.

Ce besoin de qualité comporte une autre exigence. Un système pénal progressiste ne peut faire l’économie d’un véritable droit de la preuve encadrant la fonction de juger, sauf à se renier. Le droit français a toujours laissé la voie à la discrétion, voir à l’arbitraire, dans le cheminement d’une décision de culpabilité. Le Code de procédure pénale prévoit que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve, le juge décide d’après son intime conviction ». Or, l’intime conviction est tout le contraire d’un raisonnement légal construit tendant vers la déclaration de culpabilité. Elle ressemble plus au mode de croyance du profane que celui que doit avoir un juriste. Comment peut-on demander à des juges professionnels de juger à la manière de l’homme de la rue ? L’intime conviction fait place à des décisions purement subjectives et non objectives. Elle n’est pas réellement conciliable avec le principe selon lequel le doute profite à l’accusé, doute qui se trouve de la sorte amputé de toute sa substance.

A l’inverse, dans le système accusatoire de Common Law, le juge est guidé voir même encadré par un droit de la preuve. Le mode de preuve n’est pas libre mais bien légal. Certains mode de preuve sont bannis, en particulier le ouï-dire (hearsay evidence). Le ouï-dire est essentiellement des déclarations faites par un éventuel témoin en dehors du cadre judiciaire et qui est rapporté par un autre. De même, les conséquences qu’un juge peut tirer des éléments de preuves indirects (circumstantial evidence) sont bien encadrées. Aussi, les questions tendancieuses (leading questions), c’est-à-dire des questions comportant déjà un élément de réponse, sont interdites lors d’un interrogatoire. Le juge est amené à faire une construction légale de la culpabilité. Il doit établir la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable (beyond reasonable doubt). Plus objectif, la décision de justice est moins variable d’un juge à l’autre, phénomène récurrent en France.

Enfin, le rôle et la place du parquet doivent être rationalisés. Dans le système actuel que l’on peut qualifier de confus et paradoxal, le parquet bénéficie du statut de magistrat, terme finalement ambigu pour celui qui représente tant la société que l’accusation. Le parquet, dans le procès pénal, doit voir son rôle réduit à celui d’accusation. Il doit se situer au même niveau que les autres intervenants au procès, les conseils des parties. Il ne doit plus faire partie intégrante de la composition du tribunal comme c’est le cas actuellement et entrer et sortir avec le tribunal. Comme le juge européen l’a souvent rappelé, il ne suffit pas que justice soit rendue, mais encore faut-il qu’elle soit apparente (Justice must not only be done, but must also be seen to be done), en reprenant un principe fondamental du droit anglais. Présentement, le justiciable peut avoir le sentiment d’une grande collusion entre le parquet et les juges. Dans ce même ordre de réflexion, il y a lieu de séparer définitivement et effectivement le corps des juges (du siège) de ceux du parquet pour une raison non pas seulement d’indépendance mais essentiellement d’impartialité. Un parquetier reste marqué psychologiquement et culturellement par une attitude accusatoire et ne peut assumer les fonctions d’un juge impartial.

Dans l’esprit de la réflexion qui précède, la problématique de suppression ou non du juge d’instruction se trouve transcendée. Son maintien ou non ne changera en rien la manière de rendre justice tant que les changements fondamentaux évoqués n’auront été appréciés. L’affaire Outreau a pu connaître les dérives que l’on sait malgré le nombre et la qualité des intervenants ayant agi parce que tous ont opéré dans le cadre d’un système que l’actuelle réforme ne propose pas de modifier. Le juge d’instruction seul n’est pas responsable de cette affaire. Conférer les pouvoirs du juge d’instruction au parquet sous le contrôle in fine d’un juge-arbitre n’aura pas d’influence sur la qualité de notre justice pénale. Le juge d’instruction peut être maintenu, mais il doit être davantage encadré dans l’exercice de ses fonctions. L’on peut imaginer un système dans lequel le juge d’instruction est chargé uniquement de l’enquête dans les affaires complexes et graves et qu’au terme de son instruction, le parquet entame une phase accusatoire et totalement contradictoire devant un juge-arbitre, le tout dans les termes rappelés. Une telle conciliation serait sage et donnerait à la procédure pénale française un nouveau souffle…

Jean-Marc MARINELLI, Avocat à la Cour

Parvèz Dookhy, Docteur en Droit en Sorbonne