26 mars 2008

Paul Bérenger: Maître du jeu politique?

Paul Bérenger a réussi un coup de maître sur l’échiquier politique récemment. Le départ de Madun Dulloo, provoqué et forcé, du gouvernement ne doit pas s’analyser comme une simple défection au sein de la majorité même si les principaux membres de son parti ne l’ont pas suivi. Paul Bérenger l’a bien orchestré et s’affirme par voie de conséquence incontestablement comme le centre de gravité autour duquel tourneront d’autres leaders satellites. Il dispose désormais d’une force centripète et ce pour plusieurs raisons.

Il est redevenu le leader incontesté de l’Opposition et en tant que telle Premier ministre alternatif naturel. Il faut se rappeler qu’il est revenu de loin. Il y a quelques mois il n’était qu’un simple député de l’Opposition. Le rapport de force actuel au sein même de l’Opposition fait que le Mouvement Socialiste Militant de Pravind Jugnauth ne peut plus revendiquer, à tort ou à raison, le leadership au sein de l’Opposition parlementaire. Paul Bérenger dispose d’une majorité large de soutien des députés de l’Opposition.

Par ricochet, Pravind Jugnauth ne peut que revoir ses prétentions à la baisse. Il exigeait d’être le Premier Ministre d’une éventuelle alternance politique en raison de son appartenance ethnique et ce pour un mandat complet (5 ans). La recomposition de l’Opposition fait qu’il perd le monopole de l’argument ethnique. Paul Bérenger a su, en quelques mois, créér et mettre en scène plusieurs d’autres prétendants ayant pour seule légitimité leur appartenance ethnique. La compétition avec d’autres ne peut qu’affaiblir la force des revendications de Pravind Jugnauth. L’électorat hindou est saucissonné entre plusieurs aspirants à la primature. Une telle division ne peut que conforter Paul Bérenger dans sa reconquête de l’Hôtel du Gouvernement. D’ailleurs, pour affaiblir davantage le Mouvement Socialiste Militant Paul Bérenger souhaite que les futurs dissidents de la majorité adhèrent au mouvement de Madun Dulloo, qui par la force des choses, puisera de l’électorat du parti de Pravind Jugnauth.

Dans un tel paysage, Pravind Jugnauth n’a que trois choix, et concrètement que deux qui sont réalisables. Le premier, c’est que son parti demeure dans l’opposition et fait cavalier seul lors des prochaines échéances électorales. Cette hypothèse est à écarter tant elle est suicidaire. Le deuxième choix est pour lui de s’allier à Navin Ramgoolam. Il va de soi que dans une telle configuration, il ne pourra qu’être le second de Navin Ramgoolam. Celui-ci n’abandonnera pas le leadership de toute alliance contractée par le Parti Travailliste, quitte à être battu aux élections. Pravind Jugnauth ne pourrait au mieux qu’être vice-Premier Ministre éventuel. L’autre choix qui lui reste c’est d’accepter une alliance avec le Mouvement Militant Mauricien comme partenaire majoritaire et Paul Bérenger comme Premier Ministre d’un éventuel gouvernement, au moins dans un premier temps. Autrement formulé, Pravind Jugnauth se trouve face à une situation difficile et sa récente déclaration à propos du pêcheur (Paul Bérenger) et des bassins (dont lui-même) en est l’illustration après son acceptation de n’être qu’un « petit frère ».

Avec le départ de Madun Dulloo, Navin Ramgoolam voit l’Alliance Sociale s’effriter alors que d’autres éléphants, principalement Anil Baichoo, sont sur la voie de la rupture. Paul Bérenger ne fera que ratisser le plus large possible en accentuant le débauchage au sein de la majorité. C’est le moyen le plus rapide de déstabilisation et d’affaiblissement de l’adversaire.

Tout n’est toutefois pas figé. Navin Ramgoolam dispose encore de cartes importantes à abattre. L’Opposition, et en particulier le Mouvement Militant Mauricien, n’est pas en position de force pour participer à une élection législative partielle en cas de confirmation de l’invalidation du mandat d’Ashock Jugnauth par le Conseil Privé. Le non soutien du parti de Pravind Jugnauth au candidat de l’Opposition pourra être dommageable et toute défaite du candidat de l’Opposition sera aussi une défaite du Mouvement Militant Mauricien. Une victoire du gouvernement donnerait un avantage psychologique important à Navin Ramgoolam.

Aussi, Navin Ramgoolam dispose-t-il de la carte du Président de la République. Le mandat de Sir Aneerood Jugnauth arrive à expiration dans quelques mois. Il appartiendra à Navin Ramgoolam de choisir le Président. Il peut reconduire le mandat de Sir Aneerood. Ce sera peut être une des conditions en cas d’alliance avec le Mouvement Socialiste Militant de Pravind Jugnauth. La difficulté, toutefois, est que dans un tel scénario, les trois grands personnages de l’État (Président, Premier Ministre, et Vice Premier ministre) seraient de l’ethnie hindoue, le vice Premier ministre étant alors Pravind Jugnauth. Dans une logique inverse, Navin Ramgoolam pourrait être tenté de nommer un personnage issu de la population générale (autrement dit de confession chrétienne) à la Présidence de la République. Le mandat du nouveau Président débutera en septembre cette année et prendra fin en 2013. Les élections générales n’auraient lieu qu’en 2009 ou 2010. Paul Bérenger sera dans une bien mauvaise posture pour qu’il puisse se présenter comme le Premier ministre alternatif dans le cadre des prochaines joutes électorales, le Président étant alors de la même ethnie que lui. Ce ne sera nullement rassurant pour l’ethnie hindoue et hasardeux pour l’équilibre ethnique.

Si une telle hypothèse est handicapant pour Paul Bérenger, il ne pourra l’affronter qu’en présentant devant l’électorat un cabinet alternatif (shadow cabinet) de haut niveau de compétence et un programme gouvernemental enthousiasmant. Le Mouvement Militant Mauricien doit se réinventer et redevenir un groupe de réflexion puissant de manière à ce que le programme gouvernemental suscite l’adhésion de toutes les catégories sociales de la population. De grands chantiers doivent être abordés et ouverts : une réforme sans précédent des transports, de la santé, une amélioration significative de la qualité de la vie, une réforme en profondeur du système de justice et de la sécurité publique et le tout bien entendu accompagné d’une croissance économique forte. Les techniques de campagne doivent être revues et l’Opposition doit faire usage des moyens modernes de propagande (notamment une diffusion sur internet des meetings et tracts). Avec internet et l’informatique, le simple sympathisant ferra lui aussi campagne à sa manière en envoyant à ses contacts les liens des pages ou vidéos du parti en ligne. Le slogan de campagne doit être attrayant. Paul Bérenger aurait tort de renouveler l’erreur tactique de 2005 consistant à tout miser sur la « formule gagnante » (winning formula) dont la consistance n’était qu’un tandem ou un partage des responsabilités dans le temps (3 ans/2 ans).

Lui faudra-t-il, enfin, reconquérir l’électorat musulman ? Ce sera sans doute nécessaire pour que les candidats investis par l’Opposition puissent être élus et notamment en zone urbaine. Il manque au Mouvement Militant Mauricien un ou plusieurs éléments forts représentant cette communauté. Pour combler cette lacune, le programme gouvernemental pourrait comporter des mesures spécifiques tendant à séduire cette communauté, telle l’introduction des transactions économiques musulmanes (Islamic finance) (en matière bancaire et des assurances) à défaut d’avoir réussi à introduire, sans doute pour des raisons compréhensibles, le droit personnel musulman (Muslim Personal Law). Le programme pourrait contenir une mesure de déduction fiscale de la zakaat (l’impôt musulman), de création d’un fonds d’aide aux pèlerins nécessiteux etc.

Telle nous semble être l’alchimie d’une alternance politique. Le jeu n’est pas scellé encore.

Dr Parvèz DOOKHY