8 mars 2006

Le droit du demandeur d'asile au recours

Le demandeur au statut de réfugié est-il un justiciable de second rang ? Je me pose cette question car, en comparaison avec les justiciables relevant des juridictions de droit commun, il est apparaît que le solliciteur de l’asile politique dispose d’un droit amoindri, réduit au fil des temps par les différentes législations et surtout difficile à mettre en œuvre dans certains cas.

Sa difficulté commence à son arrivée en France, lorsqu’il est placé en zone d’attente par les autorités de police. Contre cette décision de placement, son droit au recours est pour le moins difficile à être mis en application d’autant qu’il s’agit d’une personne qui n’est même pas théoriquement sur le territoire français et qui ne dispose pas de liberté. Le juge des libertés et de la détention, qui est saisi sur diligence de l’Administration ne peut qu’exercer un contrôle sur la procédure, en d’autres mots, il n’est pas concerné par la demande d’asile ! Et pendant le temps du placement, le demandeur d’asile est sous le coup d’un refoulement à tout moment. L’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides est amené à se prononcer hâtivement sur le fondement de la demande d’asile de l’intéressé, à dire si la demande est ou non « manifestement infondée ». L’audition est rapide et aucune instruction n’est faite. Sur la base de l’avis de l’OFPRA, le ministère de l’intérieur rend une décision d’admission ou de refus d’admission. La seule voie de recours possible contre la décision du ministère de l’intérieur est un recours en référé suspension ou liberté devant le tribunal administratif du ressort du placement. Le recours en référé administratif est un recours lourd tant sur le plan procédural qu’au fond. Le juge apprécie en premier, au vu de la requête, s’il y a lieu de tenir une audience ou décide de ne pas faire droit à la requête. Le demandeur d’asile doit surtout démontrer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Cette charge est lourde en ce sens que l’étranger n’a souvent pas pu, pour des raisons évidentes de sécurité, quitter son pays tout en ayant sur soi les documents justificatifs de la persécution subie. Or, pour faire la démonstration du doute sérieux, le juge de référé ne peut que se fonder sur des éléments matériels de preuves. Ce premier recours est donc plus théorique qu’effectif.

Si le demandeur au statut de réfugié a réussi à passer ce stade, il pourra alors déposer une demande en bonne et due forme auprès de l’OFPRA. Je ne vais pas évoquer ici les difficultés, combien nombreuses, qu’il pourra rencontrer avec la Préfecture pour le dépôt de son dossier (le demandeur d’asile ne dispose pas d’un droit de saisine directe de l’OFPRA, mais doit passer par l’intermédiaire de la préfecture). Je m’arrêterais seulement au cas où la décision de l’OFPRA lui est négative et qu’il souhaite exercer un recours. Le délai est de rigueur : un mois à compter de la notification. Passé ce délai, le recours est forclos.

Il fera, dans le délai imparti, un recours à la Commission des recours des réfugiés, juridiction spécialisée qui présente à l’analyse des incongruités.

D’abord, sa composition : le législateur a voulu, dans un esprit simpliste, équilibrer la composition de cette juridiction : elle est composée, outre d’un président (professionnel du droit), d’un représentant de l’Administration (en l’occurrence de l’OFPRA, qui est une Administration) et d’un représentant du Haut commissariat aux réfugiés. L’intention est peut-être louable, mais une telle composition est contraire aux principes de base de la justice. Nul ne peut être juge et partie. Dans le cadre du procès devant la CRR, l’OFPRA est partie (c’est sa décision qui y est attaquée) même s’il est souvent absent à la barre. L’OFPRA n’a pas besoin, en réalité, de venir à l’audience parce qu’il est déjà suffisamment représenté au sein de la formation de jugement ! La jurisprudence française a considéré que le contentieux des réfugiés relève de la Convention de Genève et non de la Convention européenne des droits de l’homme et que donc, les stipulations de celle-ci sur les exigences d’impartialité et d’indépendance d’un tribunal ne sont pas applicables.

Cette jurisprudence s’expose à de sérieuses critiques. A mon sens d’abord, l’idée de l’impartialité et de l’indépendance d’une juridiction fait partie avant tout des principes généraux du droit. Aussi, le droit de protection d’un réfugié est-il un droit « civil » au sens de la Convention européenne. En tout cas, aujourd’hui, depuis le remplacement de l’asile territorial par la protection subsidiaire, le droit issu de la Convention européenne est applicable en matière du contentieux des réfugiés. La protection subsidiaire trouve sa source directe dans l’article 3 de la Convention européenne (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et non dans la Convention de Genève. La protection subsidiaire est une protection autonome, distincte de celle de la Convention de Genève, que l’Etat français garantit lorsque la Convention de Genève ne peut se trouver application.

Il convient de rappeler que la Cour européenne fait souvent valoir qu’il ne suffit pas que justice soit rendue, mais encore faut-il qu’elle soit apparente (Justice must not only be done, but must also be seen to be done). En exerçant son recours devant une juridiction dont l’indépendance, du point de vue organique, sans préjuger de l’impartialité de ses membres, suscite l’interrogation, le justiciable demandeur d’asile peut, en toute légitimité, avoir le sentiment que sa cause ne sera pas entendue équitablement. Inutile de rappeler, en plus, que le personnel de la CRR est matériellement dépendant de l’OFPRA (qui prend en charge l’aspect financier du fonctionnement de la CRR).

La procédure devant la CRR est tout aussi défavorable au demandeur d’asile sur certains points. A titre indicatif, le principe du contradictoire n’est pas totalement respecté. Le justiciable exerce son recours tout en n’ayant pas accès à l’intégralité des informations soumises à la formation de jugement. L’OFPRA, dans ses décisions, fait souvent référence à « des informations dignes de foi en possession de l’Office », sans jamais les verser aux débats. Parallèlement, il arrive que des membres de la formation de jugement produisent sur le siège (donc en audience) des documents, vus et analysés seulement par la formation de jugement (dont un des membres est de l’OFPRA) à l’exclusion du demandeur d’asile ou de son conseil. Le rapporteur procède de la même manière en audience, sans communiquer ses documents au demandeur d’asile alors même qu’il conclut dans la majeure partie des cas au rejet du recours. Par conséquent, l’égalité des armes n’est pas respectée. Le justiciable a le sentiment de devoir affronter une procédure d’inquisition, secrète, relevant d’un tout autre temps en procédure pénale française.

La CRR peut rejeter, sans entendre l’intéressé ni l’inviter à faire des observations écrites, sa requête parce qu’elle estime qu’il n’y a pas d’éléments susceptibles de faire modifier la décision attaquée. Cette pratique de rejet des requêtes par ordonnance alors même qu’elles sont suffisamment motivées et que les requérants évoquent des faits par nature très graves est inacceptable. C’est une atteinte même au droit au recours.

La CRR statue en premier et dernier ressort. Le demandeur d’asile n’a pas droit, contrairement aux autres justiciables, à un double degré de juridiction. L’on sait qu’il est désormais admis en droit français que même lorsque le souverain, en l’occurrence le peuple, rend la justice (la cour d’assises), il peut se tromper. C’est ainsi que son verdict peut être revu par une autre cour d’assises à composition renforcée. Or, le demandeur d’asile débouté par la CRR ne peut faire appel de cette décision. La seule voie de recours offerte à l’encontre d’une décision de la CRR est le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Le pourvoi n’est pas un recours effectif et ce pour plusieurs raisons. Après le rejet de sa demande par la CRR, le justiciable se retrouve dans un situation précaire (perte de son droit au séjour et de tout ce qu’il englobe). Sa seule envie serait se survivre et non de s’engager dans une bataille judiciaire difficile. Pour l’exercice de ce recours, il faut l’intervention du ministère d’un avocat aux Conseils (un de ces soixante-dix avocats qui disposent d’un monopole auprès des juridictions de cassation). Le justiciable ne peut, dans la pratique, bénéficier de l’aide juridictionnelle qui lui est systématiquement refusé et l’on sait que les honoraires pratiquées sont élevées. Il est tout simplement privé d’un droit effectif au pourvoi en cassation.

Par ailleurs, le contrôle exercé par le Conseil d’Etat est par nature limité. Le Conseil d’Etat ne statue pas sur le fond, et même lorsqu’il examine la procédure son intervention est limitée. A titre d’exemple, prenons une hypothèse qui est loin d’être une hypothèse d’école : un incident d’audience a lieu devant la CRR; un des membres de la formation de jugement manifeste, dans le cadre de l’audience, son sentiment ou pose des questions injustes (parce que trop techniques) au requérant (une illustration : à une requérante africaine femme au foyer qui ne sait pas lire, on lui demande si le juge de son pays « a ouvert une information judiciaire à son encontre » alors qu’elle dit qu’elle a été arrêtée au poste de police et puis envoyée en prison). La Commission ne tient pas de notes d’audience. Le Conseil d’Etat ne pourra contrôler la régularité de la tenue de l’audience, ni le caractère loyal de celle-ci.

Au terme de cette présentation, forcément brève, on est tout de même conduit à conclure que le demandeur d’asile, parce qu’avant tout c’est une victime, mérite de disposer du droit de pouvoir exercer le droit à la protection et en cela d’être traité comme tout justiciable. En l’état, son droit au recours, dans ses restrictions et modalités d’exercice, est une entrave même à son droit à la protection.

Parvèz DOOKHY