14 juil. 2011

Maurice contre les pirates somaliens: La justice au lieu de la confrontation armée


L'Express du 14 juillet 2011
GLOBAL: Maurice contre les pirates somaliens La justice au lieu de la confrontation armée

Stéphane BENOÎT

UNE COUR extraterritoriale somalienne à Maurice ? C’est ce que propose l’Organisation des Nations unies ( ONU).

Des négociations sont en cours entre les autorités mauriciennes et l’Union européenne quant au jugement et à la détention de pirates somaliens sur le modèle des accords qui ont été signés avec le Kenya ou les Seychelles. L’ambassadeur de France, Jean- François Dobelle, se félicite d’ailleurs que « Maurice prenne sa part du fardeau » ( dans un entretien accordé à l’express d’aujourd’hui en page 7 ). Ces négociations font suite aux recommandations du Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU, Jack Lang, pour les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes.

Le 21 juin dernier, les membres du Conseil de sécurité ont examiné le rapport du Secrétaire général, Ban Ki- moon, qui a présenté les modalités de création de juridictions spécialisées somaliennes pour juger les personnes soupçonnées de piraterie aussi bien sur les côtes somaliennes que dans les eaux de pays voisins. Parmi les propositions énoncées fi gure l’établissement d’une cour spécialisée somalienne extraterritoriale dont les structures seraient implantées dans un pays voisin, à l’instar de Maurice.

Pour Razack Peeroo, avocat et ancien Attorney general, il ne fait aucun doute qu’il y a les compétences voulues à Maurice – qui a une longue tradition judiciaire et qui est respectée mondialement – pour juger les pirates somaliens. « Cependant, il manquerait peut- être à nos juges l’expérience de leurs homologues étrangers qui ont connu des cas devant les Cours pénales internationales. » En quoi le choix de Maurice pour juger des cas de piraterie peut- il être pertinent ? Selon l’avocat Kailash Triloshun, le fait d’avoir hérité de deux systèmes juridiques élaborés, issus de la Common Law britannique et du Code civil français, est un atout majeur pour notre pays. Pourtant, dit- il, « instituer une Cour extraterritoriale à Maurice aura des implications, notamment en ce qu’il s’agit de la préservation, pour les pirates somaliens, de leurs droits fondamentaux » .
C’est ce que fait ressortir Parvez Dookhy, avocat spécialisé en droits de l’homme et droit international, basé à Paris : pour lui, il est primordial que la question des droits de la défense, dont la présomption d’innocence, dès l’appréhension des pirates en haute mer jusqu’à leur acheminement à Maurice, soit respectée. Pour ce faire, il faudra, entre autres, que des interprètes compétents viennent dans notre île s’adresser aux pirates : en effet, quatre langues sont parlées en Somalie, à savoir l’arabe, le borana, l’oromo et le somali.

Arsenal législatif

Pour que ce projet puisse se concrétiser, il faudrait idéalement que Maurice légifère et fournisse les structures indispensables.

« Tout un arsenal législatif est nécessaire pour l’arrestation, l’acheminement, la détention provisoire ainsi que la question du transfèrement du détenu, son retour dans son pays, après la condamnation » , poursuit Parvez Dookhy . Sur cette question, le 21 juin, le Secrétaire général avait précisé, entre autres, que « pour faire fonctionner une cour somalienne extraterritoriale dans un autre Etat de la région, il faut mettre en place un fondement constitutionnel et législatif somalien pour la cour, instituer une base pénale et procédurale adéquate dans le droit somalien pour les poursuites concernant les actes de piraterie et négocier un accord approprié avec l’Etat hôte pour réglementer toutes les questions liées au fonctionnement de la cour » . Ban Ki- moon a toutefois expliqué que les lois somaliennes doivent être révisées afi• d’être appropriées pour les poursuites.

Selon Razack Peeroo et Vijay Makhan, ancien secrétaire aux affaires étrangères et haut fonctionnaire de l’Organisation de l’unité africaine ( OUA), l’institution d’une telle cour à Maurice coûterait cher, que ce soit au niveau des infrastructures, du personnel juridique, des forces de sécurité que de l’incarcération des pirates. A l’évidence, « cela ne pourrait être fait sans le fi nancement des communautés internationales » , affi rme Kailash Triloshun. Sur ce point, Patricia O’Brien, secrétaire générale adjointe aux affaires juridiques des Nations unies, avait indiqué que Maurice est favorable à un tribunal extraterritorial mais se heurte à des diffi cultés techniques qui l’empêchent de l’accueillir. Reconnaissant la diffi culté d’évaluer le coût de la création d’une telle juridiction, elle a toutefois fait une comparaison avec les chambres de crimes de guerre de la Bosnie, dont le fonctionnement coûte environ 13 millions d’euros ( plus de Rs 500 millions) annuellement.

La mise sur pied d’une cour extraterritoriale à Maurice rencontre quelques réticences. Vijay Makhan se demande si cela ne nuira pas indirectement à l’industrie du tourisme, la présence de pirates somaliens sur notre sol représentant une menace pour la sécurité nationale. Il déplore que notre pays ait raté l’opportunité d’accueillir en 2005 la Cour de justice de l’Union africaine. « Si nous avions adhéré à ce projet, nous nous serions occupés de choses africaines dont celle de la Somalie. Cela aurait été une institution régionale qui nous aurait davantage rapprochés du continent » , résume- t- il.