20 déc. 2011

Critiques du rapport de Guy Carcassonne

Critiques du rapport de Guy Carcassonne

Le Mauricien du 20 décembre 2011

Une grande francisation du régime y est proposée. Le système français est rationnel alors que le système anglais est beaucoup plus historique et fondé sur des conventions relatives aux mœurs du pays. Ces mœurs anglaises ne se retrouvent pas à Maurice. Guy Carcassonne a raison mais il n’a pas voulu aller jusqu’au bout de la logique de la rationalisation de notre régime parlementaire. Par exemple, les sessions parlementaires sont fixées au bon vouloir du Premier ministre. Il est le maître absolu des travaux parlementaires. En Angleterre, le Premier Ministre n'abusera pas de cette prérogative. A Maurice, c'est de l'abus pur et simple au mépris de la démocratie. Il faudrait, à mon avis, avoir des sessions parlementaires fixées constitutionnellement et éventuellement avoir des sessions extraordinaires en cas de besoin. Guy Carcassonne ne l’a pas suggéré.

Guy Carcassonne propose le système proportionnel. Or, nous avons actuellement un scrutin majoritaire à un tour qui permet de dégager un gouvernement fort. Il serait bien dangereux d’instaurer la proportionnelle à Maurice. Il y aurait trop de partis représentés à l’Assemblée Nationale. Déjà nous avons avec le scrutin majoritaire 7 partis y sont présents sur 69 députés ! Le scrutin proportionnel conduit à un dysfonctionnement du système politique ; il favorise le multipartisme. Il rend difficile l’émergence d’une majorité stable. Notre système institutionnel est de type Westminister, c’est-à-dire un régime parlementaire. S’il y a trop de partis, par définition avec notre culture politique il y aura encore plus de chantage et de marchandage et le système évoluera vers un régime dit d’assemblée, comme en Italie. Les coalitions se font et se défont et les gouvernements tombent. Maurice n’a pas le luxe d’avoir un régime instable.

Le scrutin proportionnel suppose un scrutin de liste. Le parti a une meilleure reconnaissance. Par rapport au pourcentage de voix obtenu par le parti, il lui est attribué un certain nombre d’élus en fonction d’une liste selon l’ordre établi par le parti, en l’occurrence son chef. Ainsi, les chefs de partis auraient une trop grande main mise sur les choix de ceux qui seraient en position d’être élus sur les listes. Guy Carcassonne omet dans son analyse que les principaux partis politiques n’ont pas de fonctionnement démocratique.

Délibérément ou non, le rapport Guy Carcassonne fait l’impasse sur un certain nombre de sujets relatifs à l’organisation de la vie institutionnelle : le rôle du Président, son mode de désignation, le renforcement du pouvoir parlementaire, l’affermissement nécessaire de la démocratie mauricienne etc.

Parvèz DOOKHY

29 sept. 2011

(Ile Maurice): Dérive autoritaire du régime

POINT DE VUE D’UNE ONG INTERNATIONALE: Dérive autoritaire du régime

Le Groupement des Défenseurs Judiciaires contre la Répression (GDJR) s’inquiète de la dérive autoritaire de l’actuel régime à Maurice.
Les récentes mises en cause des responsables de l’Opposition et en particulier du Leader constitutionnel de l’Opposition sous des accusations pénales de propagation de fausses nouvelles ou de complot pour déstabiliser le Gouvernement, telles que rapportées largement dans la presse, constituent une atteinte à la démocratie et au bon fonctionnement des institutions.
Il sera rappelé que l’article 1er de la Constitution affirme le caractère démocratique de l’État mauricien. La liberté d’expression est tout autant proclamée par la Constitution en son article 12.
Le régime institutionnel correspond à un système parlementaire de type Westminster. Dans cette configuration, l’Opposition a toute sa place sur le plan constitutionnel. Elle est expressément prévue par la Loi Fondamentale sous la rubrique « Exécutif ». L’Opposition peut mettre en place un cabinet fantôme (shadow cabinet) et jouit de la possibilité constitutionnelle de renverser le Gouvernement en place par le vote d’une motion de censure (article 60 de la Constitution). La déstabilisation du Gouvernement, par des moyens démocratiques, fait partie des facultés offertes, voire des devoirs de l’Opposition. Les acteurs de l’Opposition institutionnelle doivent bénéficier d’une grande inviolabilité pour qu’ils puissent exercer leurs devoirs.
S’agissant de la nature des infractions pénales sous lesquelles certains membres de l’opposition sont présentement poursuivis, le GDJR souligne que la Constitution de Maurice, en son article 10-4, pose le principe de la légalité des infractions pénales et des peines tout comme l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, applicable à Maurice en vertu d’un jugement du Conseil Privé intitulé D. Matadeen du 18 février 1998. La Cour européenne des droits de l’homme, dont la jurisprudence a une grande autorité morale sur les juges mauriciens et du Conseil Privé, a exigé qu’une infraction doit être clairement établie par la loi pour pouvoir être sanctionnée (CEDH, 22 novembre 1995, C.R. et S.W. c/ Royaume-Uni). Un délit ne peut être vague et flou ou encore faire l’objet d’aucune définition !
Au regard de ces textes fondamentaux et de la jurisprudence, l’infraction de déstabilisation du Gouvernement ou même celle de fabrication de faits controuvés ne peuvent valablement être caractérisées dans une société démocratique ou un État de droit.
S’agissant de l’infraction de divulgation de fausses nouvelles, il sera souligné que ce délit se distingue clairement du fait de la diffamation (defamation).
Fausse nouvelle / diffamation
Pour que l’infraction de fausse nouvelle soit constituée, il faut, d’une part, que la nouvelle soit fausse, mensongère, erronée ou inexacte et, d’autre part, qu’elle soit de nature à troubler la paix publique. L’infraction n’est caractérisée que si l’auteur a agi avec une particulière mauvaise foi. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a eu l’occasion d’affirmer que la condamnation d’un journaliste pour le simple fait d’avoir publié un fait avéré comme étant faux à l’encontre du Président du Cameroun sans aucun autre élément était une violation de l’article 19 du Pacte (sur la liberté d’expression).
Le délit de propagation de fausse nouvelle ne peut être utilisé pour faire réprimer un fait qui relèverait de la simple diffamation. La diffamation est en effet une allégation (statement) ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération (causing injustified injury to the good reputation of another) de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.
La fausse nouvelle se distingue dès lors de la diffamation sur un point essentiel : la première exige que le fait divulgué porte atteinte non pas à l’honneur de la personne intéressée mais à la paix publique. Elle est fait application lorsque le fait publié ne concerne pas une personne mais par exemple une politique ou pratique fausse à laquelle s’adonnerait l’autorité publique ou un groupe privé. A titre d’illustration, est caractéristique d’une propagation de fausse nouvelle le fait infondé d’affirmer qu’un groupe ethnique est en train de tuer des membres d’une autre communauté tel jour dans tel endroit. Ce fait porte effectivement atteinte à la paix publique et constitue une fausse nouvelle d’autant qu’il ne vise aucune personne, physique ou morale, nommément.
L’infraction de propagation de fausse nouvelle est d’application restrictive. Lorsqu’un homme politique X affirme qu’un autre a eu un comportement susceptible d’être une infraction pénale, il s’agit manifestement d’un fait pouvant relever seulement de la diffamation.
Transformer un fait susceptible de diffamation en un délit de propagation de fausse nouvelle pourrait constituer un abus de droit et de procédure.

Parvèz Dookhy

Président du GDJR

23 août 2011

"Le Président doit avoir un rôle actif", propos recueillis par Michel CHUI CHUN LAM




L'Express du 23 août 2011

«Le Président doit avoir un rôle actif»

Propos recueillis par Michel CHUI CHUN LAM

Parvèz Dookhy, docteur en droit et avocat exerçant en France, livre ses réfl exions sur le principe d’un régime « présidentialiste » .

(…) un rôle d’arbitre, de garant des institutions.

Quels seraient les impacts éventuels, et les implications de l’introduction d’un système « présidentialiste » à la française à Maurice ?

Dans le système « présidentialiste » , ou semi- présidentiel français, le président de la République est la clé de voûte du système institutionnel.

L’élection du Président est la contestation politique majeure. Le Président n’a plus un rôle honorifi que mais il fi xe les grandes orientations de la politique du pays. C’est lui qui choisit le Premier ministre lorsqu’il a une cohérence de majorité présidentielle et parlementaire.

Dans le contexte mauricien, il va de soi que la communauté majoritaire estimera que ce poste doit revenir à un des siens. En tout cas, je vois certaines organisations cultuelles s’activer pour le revendiquer. Puis, se posera aussi la question de l’appartenance ethnique du Premier ministre. C’est un jeu dangereux, je pense. Il y a le risque de confl it institutionnel à la tête de l’Etat.

Quel mode de désignation du président de la République vous semble le plus pertinent ?

Actuellement, le président de la République est choisi par le Premier ministre et son choix est juste ratifi é par le Parlement. Pour qu’il ait plus de légitimité, il faut qu’il soit élu. Tout dépend du rôle qu’on entend donner au Président. Si c’est lui qui détermine la politique de la nation, il doit avoir la légitimité nécessaire et être élu au suffrage universel direct, c’est- à- dire par le peuple.

Si c’est pour lui donner simplement un plus grand rôle, par exemple la possibilité pour le Président de représenter Maurice sur la scène internationale, il peut alors être élu simplement par un collège électoral, comprenant des députés et des chefs des administrations locales.

Vous évoquez les pouvoirs du Président, quels doivent- ils être ?

Pour que le Président puisse avoir le rôle et le pouvoir du président français, il faut trois changements constitutionnels majeurs. Il faut qu’il soit élu par le peuple. Il faut qu’il préside le conseil des ministres et ensuite il doit avoir un droit autonome de dissolution de l’Assemblée nationale.

Personnellement, pour l’équilibre de nos institutions, je pense que le Président peut jouer simplement un rôle effectif dans la conduite de la politique étrangère, vu son expérience et sa stature internationale.

Quelle doit être la relation entre l’exécutif et le législatif dans le cadre d’une II e République ?

Actuellement, il n’y a pas trop de séparation de pouvoir entre l’exécutif et le législatif.

Les ministres sont obligatoirement des députés en exercice, à l’exception de l’ Attorney General. Et le Premier ministre est le Leader of the House , donc c’est lui qui a la maîtrise du calendrier parlementaire. Il peut suspendre le Parlement, comme c’est le cas présentement, à tout moment.

En France, les ministres issus du Parlement perdent, pendant l’exercice de leur mandat ministériel, le statut de parlementaire et ils sont remplacés par leur suppléant.

Ce serait peut- être diffi cile à mettre en place pour Maurice.

Mais on peut imaginer que la Constitution prévoie qu’environ cinq ministres peuvent ne pas être des élus nationaux. Pour permettre aux non- députés d’être ministres.

Et il est impératif que le calendrier parlementaire soit fi xé, c’est- à- dire, qu’il y ait des sessions parlementaires, en conservant la possibilité pour l’exécutif de rappeler le Parlement en temps de crise hors des sessions.

Quel serait selon vous le système le plus viable pour Maurice ?

Il faut être prudent.

Le régime « présidentialiste » à la française n’est pas un bon modèle pour des pays où la démocratie n’est pas parfaitement entrée dans les moeurs. Trop de pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un homme. On l’a vu un peu dans les pays d’Afrique. Je suis pour le régime parlementaire tout en accordant au président de la République un rôle actif : un rôle d’arbitre, de garant des institutions et de représentant de l’Etat sur la scène internationale.

17 août 2011

CIRCONSCRIPTIONS, SÉNATS ET IDENTITÉ PLURIELLE: Réforme électorale, réflexions alternatives (1) | Le Mauricien

CIRCONSCRIPTIONS, SÉNATS ET IDENTITÉ PLURIELLE: Réforme électorale, réflexions alternatives (1) | Le Mauricien du 17 août 2011

La réforme électorale, telle que présentée par des personnalités politiques et exigée par Paul Bérenger, a pour objectif d'empêcher le renouvellement des phénomènes des victoires écrasantes (60/0 ou 57/3) produits à l'issue des consultations démocratiques et améliorer la représentativité parlementaire. Une réforme plus globale peut afficher un deuxième objectif, l'abolition du système des meilleurs perdants (Best Loser), qui a permis un rééquilibrage communautaire des représentants désignés par le peuple. L'idée d'avoir des candidats battus aux élections repêchés en raison leur appartenance ethnique paraît contestable en soi dans une société démocratique et un État de droit où effectivement l'appartenance communautaire ne peut valablement être un critère pris en compte par l'État.

A priori, la réforme, telle qu'annoncée, ne peut susciter que l'approbation. Toutefois, une étude approfondie des conséquences de la réforme appelle de ma part des réserves, voire des réticences. Est-il alors possible de procéder autrement ?

Pour empêcher le renouvellement des victoires écrasantes d'un bloc (groupe de partis en alliance), le projet de réforme porte sur une modification du mode de scrutin. Actuellement, nous avons à Maurice, un scrutin majoritaire (first past the post) plurinominal à un tour (3 députés élus par circonscription et 2 à Rodrigues). C'est ce mode électoral qui favorise largement le parti victorieux en multipliant le nombre de ses élus. Ainsi, il n'est pas en adéquation avec le suffrage national obtenu par les différents partis. Le projet de Paul Bérenger propose le maintien d'un tel système mais parallèlement l'on ajoutera également un scrutin de liste au niveau national, autrement formulé, une dose de proportionnelle. Aux côtés des 62 députés choisis selon le mode habituel, s'ajoutera un certain nombre de députés supplémentaires, d'une vingtaine à une quarantaine, issus d'une liste et choisis selon le scrutin proportionnel. Chaque parti, et selon le pourcentage de voix obtenus, se verra attribuer des députés par ordre de classement sur leur liste.

Ce nouveau dispositif, séduisant en soi, me paraît dangereux. Et ce pour plusieurs raisons.

Contrairement à ce qui existe dans beaucoup d'autres pays, notre système électoral a fait ses preuves et a surtout donné à Maurice une grande stabilité politique malgré les cassures d’alliances : chose que certains grands pays, en particulier, l'Italie et Israël, n'ont pas. La stabilité politique est absolument indispensable pour un pays en voie d'émergence économique. Le peuple choisit lors d’une échéance électorale une équipe qui dirigera le pays pour une période définie, cinq ans normalement. L'île Maurice ne peut pas connaître une instabilité politique, une majorité qui se défait rapidement après une victoire électorale sauf circonstance exceptionnelle. La proportionnelle est malheureusement réputée dans le monde entier comme étant un système pouvant produire de l'instabilité en incitant au fractionnisme. Elle permet l’émergence de plusieurs petits partis à l'Assemblée. Déjà nous savons qu'à Maurice, malgré la bipolarisation qui s'est installée, il y a un trop grand nombre de partis qui ont des sièges à l'Assemblée, en l’occurrence sept. Au sein de la majorité, si elle est faible, les petits partis pourraient faire du chantage au gouvernement, leur soutien étant conditionné à l’application essentiellement d’une revendication. Le scrutin majoritaire à un tour, qui a donné naissance au bipartisme en Angleterre, ou du moins le tripartisme, n'a pas produit à Maurice le même résultat en raison, je pense, du caractère pluriethnique de notre société. Avec la mise en place de la proportionnelle, même partielle, le nombre de partis présents à l’Assemblée pourrait s’accroître encore.

Avec le scrutin proportionnel, le parti a un pouvoir accru. Ce sont les chefs des partis qui choisiront ceux qui seraient en position d’être élus sur les listes. Ce qui poserait un problème de renouvellement des acteurs politiques.

Par ailleurs, il va de soi également qu'avec la proportionnelle certains partis purement ethniques pourraient également avoir des élus. Ce qui serait une régression de la consolidation de la nation arc-en-ciel de Maurice ! Certains diront alors, qu'il y a lieu de fixer un seuil élevé (au-delà de 10% des voix exprimés) pour qu'un parti puisse avoir des représentants selon le scrutin proportionnel accessoire proposé. Si tel est le cas, alors la proportionnelle perd de sa substance, parce qu'un parti comme le MSM ou le PMSD, crédité respectivement de probablement de 4% et 1 %, serait exclu de la proportionnelle. Ce système ne profitera qu’aux grands partis, qui par définition arrivent à avoir des élus. Y-a-t-il alors une autre solution ? Je répondrai à cette question plus loin.

Enfin, un scrutin de liste accessoire pourrait aussi permettre une recomposition postélectorale du paysage politique, un peu à l’exemple de ce qui s’est produit en 1976. Les coalitions se formeront après la proclamation des résultats, vu l’éparpillement des élus et le nombre de partis présents à l’Assemblée nationale, de manière à ce qu’il n’y a pas de victoire claire et nette d’un camp sur l’autre. Se posera, par voie de conséquence, la question de la légitimité démocratique du groupe qui formera le gouvernement et du programme électoral. Comme en 1976, l’opposition pourrait dire que la victoire lui a été volée ! Or, le gouvernement a besoin d’une légitimité à la fois juridique (majorité en nombre à l’Assemblée) mais aussi démocratique (claire victoire aux élections) pour diriger à bien le pays et un programme électoral manifestement approuvé par le peuple. A défaut, la nature westminstérienne même de notre parlement ou en l’occurrence le fait majoritaire, serait en question et l’on verra naître un régime dit d’assemblée.

L'abolition du Best Loser system est tout aussi aventureuse. En théorie, ce système est condamnable. Mais comme l'avait dit le Professeur De Smith, rédacteur de notre Constitution en 1968, c'est un mal nécessaire. Le Best Loser a permis une coexistence pacifique des communautés. Il serait risquant, si à l'issue d'une consultation démocratique, une communauté n'obtienne pas de représentants suffisants à l’Assemblée nationale. L'histoire récente en Afrique et ailleurs dans le monde, nous enseigne de la nécessité d'avoir un équilibre communautaire au sein de la représentation nationale. Aucune communauté ne doit souffrir d'un manque d'élus nationaux. Le système des meilleurs perdants est bien ancré historiquement et aucune communauté ne se sent offensée par l’attribution d’élus supplémentaires à une autre communauté. Pour cette raison, je pense que le système de meilleurs perdants doit se maintenir. C'est ce qui a fait notre réussite.

Alors que faire ? Je pense que toutes les pistes n'ont pas été exploitées. D’autres solutions sont envisageables si l’on veut procéder à une modernisation de notre loi électorale.

Pour empêcher les victoires écrasantes d'un bloc sur l'autre, il serait peut être possible de redécouper les circonscriptions électorales (ou les réduire), les augmenter et prévoir un élu par circonscription. On aura alors, comme en Angleterre et en France, un scrutin uninominal. Actuellement, nous avons 20 circonscriptions à Maurice. On pourrait imaginer 60 ou 80 circonscriptions et avoir un élu par circonscription au lieu de trois. L'idée est de rapprocher le candidat de sa circonscription et éviter la pratique de « vote bloc », le panachage étant une pratique assez marginale chez l’électeur et lorsqu’il le pratique c’est sur une base essentiellement communautariste. Avec ce système, il serait difficile, sauf énorme basculement de l'électorat dans un camp, d'avoir des majorités écrasantes. Si tel est alors le cas, c'est que le peuple a voulu sanctionner sévèrement un régime. Il doit alors avoir de bonnes raison de le faire. Avec un scrutin uninominal (un élu par circonscription), l’électeur ne pourrait faire du panachage communautariste comme actuellement, c'est-à-dire attribuer ses trois voix à trois candidats, de partis différents, issus de sa communauté seulement. Ce serait un pas de plus dans la construction d’une véritable nation mauricienne. Toutefois, les partis politiques devraient être bien attentifs au maintien de l’équilibre ethnique dans la désignation des candidats de manière à ce qu’aucune communauté ne se trouve lésée par ce mode de scrutin.

Je pense, en tout état de cause, qu'il est nécessaire d'augmenter le nombre des représentants nationaux. Une soixantaine d'élus n'est pas suffisante pour diriger un pays. Grands ou petits, les pays ont en général une trentaine de membres du gouvernement (ministres et secrétaires parlementaires privés). A Maurice, tous les membres du gouvernement, sauf l'Attorney-Général, sont des élus, ce qui fait que presque la moitié des députés sont membres du gouvernement. Il ne reste que l'autre moitié (opposition/majorité confondues) pour contrôler l'action du gouvernement. Dans l’actuelle configuration, presque tous les élus de la majorité sont affectés à un poste. Le nombre d’élus n'est pas suffisant. Il y a lieu de l’accroître.

Une autre possibilité, qui va dans le sens précité, serait alors de créer une deuxième chambre parlementaire, un Sénat comme elle est communément appelée. L'intérêt est multiple. Il est toujours utile de faire usage de l'expérience des femmes et hommes politiques qui ont dirigé le pays. En général, la deuxième chambre comporte en son sein des personnalités expérimentées. Aussi, la deuxième chambre reflèterait-elle un rapport de force différent dans le pays, ce qui pourrait tempérer toute victoire écrasante d'un bloc sur un autre si son renouvellement a lieu à une période différente. Elle permettrait d'affermir la démocratie. Reste à définir le mode de scrutin. A l'image de ce qui existe ailleurs dans le monde, le mode de scrutin doit être différent. Il pourrait, lui, être proportionnel. Car, la deuxième chambre devrait avoir des pouvoirs légèrement inférieurs à celui de l'Assemblée Nationale. En particulier, le gouvernement ne serait pas responsable devant elle. L’on peut alors permettre, sans risque pour la stabilité gouvernementale, une représentation de tous les courants de la société.

Au vu de cette analyse, je pense qu'il faudrait avancer dans la consolidation de la nation mauricienne sur le plan électoral, quarante années après notre Indépendance. On ne devrait, toutefois, pas faire abstraction brutalement de notre identité plurielle et de la nécessité d’avoir un gouvernement stable. Le jeu d’alliance est déjà facteur d’instabilité. La proportionnelle va accroitre ce facteur. Il faut y procéder avec délicatesse. En l’état, l’abolition du Best Loser System me paraît prématurée. Il serait peut-être sage de réfléchir encore sur la réforme électorale et que les partis proposent une réforme dans leur programme électoral avant son adoption.

Parvèz DOOKHY

Commentaire:

Je trouve l’introduction d’une dose de proportionnelle dans notre système électoral dangereuse pour plusieurs raisons.

Elle va accentuer l’instabilité politique. La proportionnelle est réputée dans le monde entier comme étant un système pouvant produire de l'instabilité en incitant au fractionnisme. Elle permet l’émergence de plusieurs petits partis à l'Assemblée. Déjà nous savons qu'à Maurice, malgré la bipolarisation qui s'est installée, il y a un trop grand nombre de partis qui ont des sièges à l'Assemblée. Ils sont huit actuellement sur 69 députés. Au sein de la majorité, si elle est faible, les petits partis pourraient faire du chantage au gouvernement, leur soutien étant conditionné à l’application essentiellement d’une revendication. Le scrutin majoritaire à un tour, qui a donné naissance au bipartisme en Angleterre, ou du moins le tripartisme, n'a pas produit à Maurice le même résultat en raison, je pense, du caractère pluriethnique de notre société. Avec la mise en place de la proportionnelle, même partielle, le nombre de partis présents à l’Assemblée pourrait s’accroître encore. On pourrait voir l’émergence des partis religieux.

Pour éviter que des petits partis puissent avoir des élus, il faudrait alors fixer un seuil élevé (au-delà de 10% des voix exprimés) pour qu'un parti puisse avoir des représentants selon le scrutin proportionnel accessoire proposé. Si tel est le cas, alors la proportionnelle perd de sa substance, parce qu'un parti comme le MSM ou le PMSD, crédités aujourd'hui de moins de 10 %, seraient exclus de la proportionnelle. Ce système ne profitera qu’aux grands partis, qui par définition arrivent à avoir des élus.

Dans l’idée de Paul Bérenger, avec une dose de proportionnelle, chaque parti pourrait concourir séparément et les coalitions se feront après que les urnes se soient exprimées. Les coalitions post-électorales sont une méconnaissance de la démocratie. Le peuple vote pour les candidats d’un parti en fonction de son programme électoral. La coalition post-électorale est une coalition en pure opportunité et non pour mettre en place un programme parce que celui-ci n’a pas été approuvé préalablement. Un gouvernement a besoin d’un mandat clair. Une coalition post-électorale rend le mandat flou, incertain et le prive de la légitimité démocratique nécessaire.

La proportionnelle suppose un scrutin de liste. Dans l’idée actuelle, on rajoute une vingtaine ou plus de députés selon une liste de candidats de chaque parti. Au lieu de voter pour un candidat comme c’est le cas actuellement, pour la liste, l’électeur votera pour le parti. Et les candidats les mieux placés sur la liste pour chaque parti en vertu de son score sont élus. Ce système donne aux responsables du parti un trop grand pouvoir, déjà que nous savons que les partis politiques de Maurice, dans leur fonctionnement, ne sont pas démocratique. Donc c’est le chef du parti qui choisira ses proches fidèles pour être sur la liste car l’élection est assurée en tout cas pour les premiers. Concrètement, le Ptr ou le MMM fait approximativement chacun 40% de l’électorat. Sur 20 sièges de la proportionnelle, ils peuvent globalement chacun avoir 8 élus. Qui seront ces 8 premiers sur la liste ? Ce seront des fidèles et leur élection est assurée d’avance. Ca empêchera au final le renouvellement de la classe politique.

Se posera ensuite un autre problème avec une dose de proportionnelle. Il y aura deux catégories d’élus. Ceux qui ont affronté de face l’électorat, dans des circonscriptions données, et qui ont été élus grâce à un vote personnel des électeurs pour eux. Puis, il y a ceux qui sont sur la liste, en bonne position, et qui ont été élus parce que les électeurs ont voté pour le parti. Les deux légitimités ne sont pas égales sur un plan démocratique.

Parvèz Dookhy

8 août 2011

LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE : Pour le dépôt d’une motion de censure  | Le Mauricien


LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE : Pour le dépôt d’une motion de censure | Le Mauricien du 8 août 2011

Pour le dépôt d’une motion de censure

Le gouvernement actuel, recomposé avec la plus grande difficulté au regard de la persistance des ministères vacants et l’absence d’éléments féminins, a perdu toute sa légitimité démocratique. Il n’a pu être reconstitué partiellement que grâce au transfugisme, pratique que le gouvernement a tenté de sanctionner dans un projet de loi sur les élections locales. Il en va du même échec en ce qu’il s’agit de la représentation féminine équitable, complètement réduite à une proportion purement incongrue ! Difficile dès lors d’affirmer que c’est un « Gouvernement rajeuni, féminisé et tourné vers l’Avenir » comme sans doute le Premier ministre aurait voulu le clamer, lui qui aime si tant les grandes formulations françaises lors de ses déclarations solennelles.

La majorité est fragile, voire incertaine. Le Gouvernement n’a plus de cap. Il suffit de voir le nomadisme ministériel de Sik Yuen en si peu de temps. La Primature est même devenue comme un manchot politique lorsqu’on entend son titulaire se plaindre de l’attitude d’un ministre démissionnaire qui l’aurait trahi sans pouvoir agir de quelque manière contre celui-ci. Il ne s’agit plus de l’Alliance de l’Avenir mais l’Avenir de l’Alliance gouvernementale qui est en cause. Dans ces conditions, il appartient à la nouvelle Opposition renforcée de mettre entre parenthèse ses considérations tactiques et stratégiques et de se resserrer autour d’une nécessité : rendre le pouvoir au peuple en faisant adopter une motion de censure par l’Assemblée dès la reprise des travaux.

Certes le MSM est Réduit et ne voudra pas affronter l’électorat de sitôt d’autant que Pravind Jugnauth peut ne plus avoir de circonscription sûre, mais l’Opposition a désormais les moyens de reconquérir rapidement le pouvoir.

Certains élus déçus du régime travailliste pourraient bien être tentés de rallier une Opposition victorieuse et renverser le gouvernement. Ils en sont nombreux.

Paul Bérenger, qui devient de facto le Premier ministre alternatif (Shadow Prime Minister) incontesté, est désormais investi d’une mission essentielle : accéder à la primature pour la plénitude d’un mandat afin de libérer le pays du communautarisme ambiant.

Le MMM doit désormais se mettre sérieusement au travail et élaborer un projet de société attrayant, progressiste et orienté vers le futur.

Parvèz DOOKHY


2 août 2011

INSTITUTIONS POLITIQUES: L’état de notre démocratie | Le Mauricien

INSTITUTIONS POLITIQUES: L’état de notre démocratie | Le Mauricien

INSTITUTIONS POLITIQUES: L’état de notre démocratie

L’île Maurice se distingue de nombreux pays d’Afrique au regard de l’image démocratique qu’elle projette. Les partis sont libres, la tenue régulière des élections législatives est inviolable depuis 1982 et le phénomène de l’alternance politique s’y est installé. Au-delà de ces critères, l’on peut légitimement s’interroger sur l’état réel de la démocratie mauricienne d’autant qu’un certain nombre de faits troublants démontre ô combien Maurice est loin d’avoir atteint une maturité démocratique.
Un système démocratique englobe prioritairement l’idée d’un équilibre des pouvoirs. Or, le Premier ministre mauricien concentre trop de pouvoirs en ses mains. A titre indicatif, il lui revient de nommer le Président de la République (l’Assemblée ne peut que ratifier ce choix) ; il est maître du calendrier électoral qu’il peut garder secret et décide en toute discrétion des sessions parlementaires. Actuellement, le parlement est en vacances alors que des projets de loi sont en souffrance. Le pouvoir législatif doit être indépendant et ne peut siéger au seul bon vouloir du chef du gouvernement. Il y a lieu de fixer, comme dans d’autres démocraties, les dates des sessions parlementaires tout en préservant la possibilité pour l’Exécutif de faire siéger le parlement en session extraordinaire en cas de besoin. La prorogation du Parlement signifie tout simplement que le Chef du gouvernement suspend le travail parlementaire. Il s’agit, sans motif légitime, d’un abus de pouvoir et d’un acte contraire au vœu de l’électeur. Car l’élu national est chargé de contrôler l’action du gouvernement et de voter des lois.
La démocratie locale est tout aussi en veilleuse. Les élections locales n’ont pas été organisées à échéance et les villes sont dirigées par des équipes non légitimes sur un plan démocratique. Le renvoi des élections locales n’est en rien justifié. Au regard de la crise politique récente, les élections locales sont, semble-t-il, renvoyées pour une période indéterminée et cette situation risque de durer. Il serait dès lors nécessaire de constitutionnaliser la démocratie locale pour empêcher tout gouvernement qui serait en situation de faiblesse sur le plan local de reporter sine die les élections locales pour ne pas subir un revers électoral.
D’une manière plus générale, les consultations électorales ne sont pas organisées dans des conditions loyales et d’équité. Il n’y a aucun contrôle sérieux des dépenses électorales des candidats. La corruption électorale est une pratique courante, ce qui permet à certains d’être reconduits aisément. D’où l’augmentation, à première vue, des délits financiers. Selon une logique, les moyens répartis en vue de remporter une élection doivent être récupérés… Un plafonnement effectif et contrôlé des dépenses électorales est une mesure importante pour garantir la tenue des élections équitables.
L’information d’État manque en indépendance et pluralisme. Il est désormais urgent de privatiser la majorité des chaînes publiques de radio et de télévision et d’instaurer des règles strictes en matière d’équité et de pluralisme de l’information. Si l’actuel régime est peu enclin à procéder ainsi, il appartient à l’Opposition, dans le cadre de son offre d’alternance, de proposer de manière crédible et attrayante une libéralisation poussée de l’audiovisuel et d’encadrer le fonctionnement des chaînes publiques. Le pluralisme de l’audiovisuel, et bien entendu de l’information, doit devenir un fondement de notre République.
Le renouvellement politique, nécessaire à une démocratie, est peu pratiqué à Maurice et, lorsqu’il intervient, le principe dynastique prévaut. Ce sont principalement les mêmes familles qui occupent la scène politique depuis notre accession à l’Indépendance. La République a besoin d’une nouvelle génération de femmes et hommes politiques. Afin de dynamiser le renouvellement politique, d’autres pays ont instauré le principe d’une limitation du nombre de mandats qu’un homme politique peut exercer. À titre d’illustration, le Chef de l’État ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs en France, en Russie, en Afrique du Sud et aux États-Unis. À Maurice, il serait peut-être nécessaire de limiter la durée d’exercice du pouvoir par un premier ministre à dix ans et le mandat parlementaire à trois ou quatre. L’Opposition parlementaire serait bien inspirée à engager une réflexion approfondie sur un tel sujet afin de promouvoir l’engagement politique des jeunes et notamment de jeunes femmes pour construire notre avenir commun.
Notre démocratie est restée à l’état primaire. Il y a lieu de lui donner un nouveau souffle afin qu’elle soit conforme aux standards pratiqués dans les pays développés. Elle a besoin d’être accompagnée de nouvelles valeurs qui fondent une société modernisée.

30 juil. 2011

Me PARVEZ DOOKHY: " Difficile à Navin Ramgolam de s'imposer comme avant"


"Difficile à Navin Ramgoolam de s'imposer comme avant" Interview in Samedi Plus du 30 juillet 2011

Notre compatriote Parvèz Dookhy exerce comme avocat au barreau français. Auteur de plusieurs articles de réflexion sur la réforme au niveau politique et constitutionnelle, il jette un regard critique sur les derniers évènements ayant bouleversé l'échiquier politique.

Parvez Dookhy, que pensez-vous de la décision des ministres du MSM de se retirer du conseil des ministres ?
C’est un fait politique majeur. Depuis une décennie nous avons connu, contre toute attente, des alliances électorales stables et reconductibles. Depuis 1967 jusqu’en 2000, les ruptures d’alliances étaient bien régulières. Les alliances redeviennent fragiles. Mais la solidarité envers l’ex ministre de la santé est à interpréter. Est-ce parce qu’elle est mise en cause dans un délit économique ou parce qu’elle a été arrêtée et sur ordre de qui ?

Sommes-nous dans une crise institutionnelle ou constitutionnelle avec cette décision d’une des factions de l’alliance gouvernementale de ne plus diriger les affaires de l’État ?
Nous sommes dans une crise politique déjà. Elle sera institutionnelle si le gouvernement n’arrive plus à survivre et surtout de diriger la politique de la nation. Il faut revoir la recomposition au Parlement. Pour l’heure le MSM soutient toujours la majorité mais c’est une farce. Ce qui est sûr c’est que le gouvernement est dans l’instabilité !

Techniquement est-ce qu’un ministre du gouvernement peut s’attendre à rester en fonction des qu’il ou qu’elle est mis en examen ?
Il y a le principe de la présomption d’innocence qui doit s’appliquer à tout le monde. En même temps, dans le monde politique, on doit être au-delà de tout soupçon. C’est une question non pas juridique mais de légitimité politique. Un élu qui commet une faute morale est discrédité. La politique n’est pas du juridique.

Y-a-t-il des corrections ou des amendements à apporter au système pénal mauricien en ce qu’il s’agit du pouvoir d’arrestations des personnalités publiques ?
Certains pays prévoient pour les élus une immunité pénale ou une procédure plus complexe (par exemple, l’obtention préalable du président ou du gouvernement). Ce n’est pas nécessaire. Il faut simplement à l’autorité chargée de l’arrestation un peu de maturité. Dans le cas de Maya Hanoomanjee, je pense que l’on aurait dû attendre tranquillement sa sortie de l’Hôpital privé. Ca n’aurait pas duré éternellement. Là, l’ICAC a agi en toute urgence. Elle a fait extraire une patiente de l’hôpital privé, l’inculper, la présenter devant un juge et elle retourne à l’hôpital. Tout ça vicie un peu la procédure. Si la concernée a fait des déclarations aux enquêteurs, elle pourrait revenir aisément sur ses déclarations en arguant devant un juge son état de santé du moment. Donc ce n’est pas très habile d’avoir procéder ainsi.

Êtes-vous satisfait du fonctionnement de la Commission Anti-Corruption, l’ICAC a Maurice ?
C’est un fait que l’ICAC manque en indépendance. Le Directeur général est nommé par le Premier ministre pour une durée de 5 années reconductibles. Il aurait dû être nomme par le Chef-Juge en exercice. Et bénéficier d’un mandat plus long mais pas reconductible, ce qui veut dire qu’il n’aurait pas eu de compte à rendre. Ces changements sont nécessaires pour donner à l’institution une indépendance nécessaire. Aussi serait-il mieux si ce poste est occupé seulement par des anciens juges.

Que risque-t-il de se passer sur le plan politique avec ce changement important ?
Les cartes sont redistribuées. Plusieurs hypothèses sont envisageables. Arithmétiquement, le gouvernement peut encore survivre mais ce sera difficile de gouvernement avec une si courte majorité (en cas de changement de camp du MSM) car des fois il y a des députés-ministres absents à l’Assemblée pour diverses raisons (voyage, maladie etc). Paul Bérenger reprend un peu la main et peut désormais s’affirmer comme le Premier ministre alternatif. Il va encore tout faire pour précipiter le départ définitif du MSM de la majorité. Une fois fait, la donne politique change et le rapport de force. Pravind Jugnauth tape un coup de poing sur la table et joue malgré tout la prudence. Paul Bérenger joue un peu avec le feu : il doit attirer le MSM, leur donner des garanties et en même temps le MSM est un fardeau pour son électorat. Il lui serait plus sage de laisser le MSM dans sa situation actuelle, c'est-à-dire en dissidence par rapport au gouvernement sans être dans l’opposition. Cette situation sera vite inconfortable pour le MSM qui est un parti du pouvoir dans tous les sens du terme.

Est-il possible de gouverner avec le principe de solidarité gouvernementale à la lumière des derniers évènements ?
La solidarité gouvernementale a pris un sacré coup. Il faut voir la réaction d’autres éléments de l’Alliance de l’Avenir. Certains y sont des spécialistes de l’éjection avant le crash.

Est-ce que Pravind Jugnauth a marqué des points importants pour sa carrière politique surtout son désir d’être un jour le Premier ministre ?
Il prend de sérieux risques. Il peut s’affaiblir au sein de la majorité et être contraint de passer dans l’Opposition. Le MMM est en situation de force au regard de sa performance électorale seul et de tous les scandales actuels et à venir dont fait face l’actuel gouvernement.

Est-ce que la cassure gouvernementale risque de s’approfondir pour aller vers les élections générales ?
Ce n’est pas à écarter. Ce sera désormais difficile à Navin Ramgoolam de s’imposer comme avant. Avec le départ du MSM du gouvernement, il perd en légitimité politique même s’il a une majorité qui le soutient encore. La confiance, qui a été la règle d’or de la conclusion de l’Alliance de l’Avenir, n’y est plus !

Puisque tout est possible en politique, peut-on avoir un remake de l’alliance MSM/MMM ?
Les militants vont revendiquer pour que ce soit en tout état de cause une alliance MMM/MSM et non l’inverse avec Paul Bérenger Premier ministre pour toute la plénitude du mandat. Vu la conjoncture politique, si le MMM réorganise le parti et établit un programme alternatif séduisant, le parti peut se présenter seul et affronter le suffrage et remporter les élections. Le MMM doit cibler les jeunes.


Ou encore une fameuse lutte a trois ?
C’est un peu du fantasme politique. Le MSM n’est pas en situation d’une lutte à trois. Donc, il s’accrochera à un autre parti ou bloc.

Le tout sans la reforme électorale et constitutionnelle longtemps attendu…Vos commentaires ?
La réforme est reportée sine die. Il n’y aura pas de consensus nécessaire. On peut dire que c’est définitivement abandonné pour cette Législature.

27 juil. 2011

Une rupture PTr-MSM pourrait donner le premier rôle à SAJ

Article de Gilles RIBOUET dans le journal L'Express du 27 juillet 2011
Une rupture PTr-MSM pourrait
donner le premier rôle à SAJ

Gilles RIBOUETLA panique parlementaire n’est pas pour tout de suite. Mais elle pourrait faire surface si le MSM décide fi nalement de prendre ses distances de l’alliance gouvernementale au sein de laquelle il ne resterait alors que le PTr et le PMSD. Pour autant, rien ne prédit que le parti orange se jettera dans les bras mauves. Dans cette éventualité, on se retrouverai avec un Parlement multipolaire, sans majorité absolue ( 35 sièges).Malgré un tel cas de fi - gure, « le Premier ministre ( PM) peut continuer à gouverner tant qu’il n’a pas été renversé » , sachant qu’ « en politique, un PM est battu non seulement par une motion de censure mais aussi par le rejet d’une loi proposée par le gouvernement » , avance l’avocat Parvèz Dookhy. En théorie donc, s’il y a cassure, le bloc gouvernemental PTr- PMSD ( 33 députés) devrait à coup sûr compter ses jours.Ce genre de situation inédite, dite de « hung parliament » ( littéralement, parlement pendu ) ou « parlement sans majorité » , n’est pas à écarter totalement. Ce scénario ne donne pas tant le premier rôle aux leaders politiques qu’au président de la République.Car les amendements constitutionnels d’août 2003 portant sur l’accroissement des pouvoirs présidentiels donnent des réponses à ce type de situation. Pourtant, pour Navin Ramgoolam, alors leader de l’opposition, ces « amendements inutiles » représentaient une « escroquerie politique » . Et il pourrait en faire les frais quelques années après leur adoption.Bref, dans le cas où le Premier ministre serait mis en minorité par le rejet d’un projet de loi important ou motion de censure d’une opposition, même éclatée, « le président dispose d’une marge de manoeuvre lui permettant de le révoquer et/ ou de dissoudre l’Assemblée nationale » . Autre option, et non des moindres, issue des amendements de 2003, « le Président peut aussi nommer un autre député Premier ministre » , souligne Parvèz Dookhy.Razack Peeroo, ancien Attorney General, précise le contenu de l’article 57- 1( a) de la Constitution : « Quand le PM n’a pas la majorité, le Président peut, dans sa sagesse, désigné un député qu’il estime capable de commander une majorité pour former un gouvernement. Mais s’il ne trouve personne, il devra alors dissoudre le Parlement et on ira vers des élections générales anticipées. » En fait, le PM pourrait se retrouver bloqué.Car si la situation ne s’arrange pas, la dissolution de l’Assemblée ne lui serait pas acquise puisque « le Président peut la lui refuser et demander à ce qu’un autre leader démontre qu’il peut commander une majorité parlementaire » , laisse entendre l’ancien président Cassam Uteem.Quoiqu’il en soit, l’atmosphère politique délétère, malgré les propos de Pravind Jugnauth hier, laisse planer l’hypothèse d’une très courte majorité à l’alliance au pouvoir avec 33 sièges ( 29 travaillistes, 4 PMSD) assortis des deux sièges du MR dont celui du ministre Von- Mally. Cette majorité d’un siège serait problématique car « dans une courte majorité, tout député de la majorité peut faire du chantage pour faire tomber le gouvernement, sans compter le problème des déplacements des députés et ministres de la majorité à l’étranger » qui pourrait valoir un revers politique ( loi non votée) et ainsi ouvrir la porte à une retouche présidentielle.Pour Razack Peeroo, ce type de situation ne doit pas perdurer au risque de créer « trop d’instabilité institutionnelle » et « d’agitation politique » . Qu’on se rassure, les amendements constitutionnels de 2003 « évitent qu’une situation de hung parliament s’éternise et ne paralyse les institutions » , conclut Cassam Uteem.« Un ‘ parlement sans majorité’ n’est pas à écarter. »

Démission des ministres MSM: quelques hypothèses


http://www.lemauricien.com/node/1525
(in Le Mauricien du 27 juillet 2011)

Démission des ministres MSM

Quelques hypothèses

La démission des ministres du MSM du gouvernement rend le contexte politique flou et incertain. De nombreuses hypothèses restent valables et d’actualité.

Il se peut que la démission en bloc des ministres du gouvernement mais pas de la majorité ait pour but de faire pression pour que les charges pesant sur l’ex ministre de la santé soient abandonnées. Cette dernière a pu payer le prix d’une indiscrétion à l’oreille du leader de l’opposition. D’où cette posture de solidarité envers une ministre non pas en raison de son implication dans une affaire mais du fait qu’elle ait été victime de représailles. En restant dans la majorité, le MSM accorde un temps au Chef de gouvernement pour un nouvel accord.

La démission en bloc du MSM peut aussi être une étape transitoire avant de rejoindre les bancs de l’Opposition à l’Assemblée. C’est une manière pour le MSM de pouvoir mieux négocier avec le MMM éventuellement et trouver un terrain d’entente alors que le Chef de l’Opposition souhaiterait précipiter la chute du gouvernement.

Est-ce que le gouvernement peut durer dans le soutien du MSM ? La réponse est complexe. Si sur un plan arithmétique le gouvernement détient (sans le MSM) une courte majorité, il lui sera difficile de diriger avec aisance. Car il y a des députés qui peuvent être absents au parlement à un moment ou un autre, ce qui réduit la majorité lors des votes (par ex. un ou député ministre en voyage, malade etc.). Par ailleurs, avec une courte majorité, tous les députés ont un pouvoir de marchandage très fort. Le PSMD est propulsé en position de force et peut revendiquer de grands ministères et notamment celui de l’économie et des finances. Le Chef du gouvernement pourrait aussi trouver un appui auprès de certains éléments du MMM.

Le Chef de l’Opposition reprend la main dans le jeu politique après la défaite de son parti aux dernières élections. Le moral des militants s’est vigorifié. Le Chef de l’Opposition est en situation de force pour négocier toute alliance avec un MSM affaibli politiquement.

Les élections locales semblent être renvoyées sine die vu la conjoncture politique actuelle d’autant que le Parlement est en vacances. La tenue des élections locales est suspendue à l’adoption d’une nouvelle loi sur les administrations locale. La victoire du MMM paraît écrasante dans l’actuel contexte politique.

Parvèz DOOKHY

18 juil. 2011

L'infraction de propagation de fausses nouvelles: une procédure potentiellement abusive en démocratie

L’infraction de propagation de fausses nouvelles

(In Le Mauricien du 18 juillet 2011)

Une procédure potentiellement abusive en démocratie

La répression d’un délit large de propagation de fausses nouvelles est indicative du faible niveau démocratique d’un Etat. La propagation de fausses nouvelles (propagation/dissemination of false news/information) est un délit fort ancien qui perdure dans certains pays. Elle est appliquée fréquemment dans les pays d’Afrique connus défavorablement pour leur pratique de la répression politique. Dans certains pays démocratiques où elle existe, elle fait l’objet d’une application particulièrement restrictive, laissant la place à la diffamation pour réparer toute atteinte à l’honneur.

En effet, la propagation de fausses nouvelles se distingue clairement du fait de la diffamation (defamation) sur le plan juridique dans un Etat de droit.

Pour que l’infraction de fausse nouvelle soit constituée, il faut, d’une part, que la nouvelle soit fausse, mensongère, erronée ou inexacte et, d’autre part, qu’elle soit de nature à troubler la paix publique. Le Code criminel du Canada (article 181) exige que la fausse nouvelle cause une atteinte ou un tort à quelque intérêt public. En France, le juge retient l’atteinte à la paix publique ou le trouble grave à l’ordre public (Cour d’appel de Paris du 18 mai 1998). Aussi, le juge apprécie-t-il avec beaucoup d’indulgence l’intention coupable (mens rea) de l’auteur de la fausse nouvelle qui peut aisément faire valoir, comme défense, sa bonne foi ou le fait qu’il a pu légitiment croire que la nouvelle était fondée. L’infraction n’est caractérisée que si l’auteur a agi avec une particulière mauvaise foi. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a eu l’occasion d’affirmer que la condamnation d’un journaliste pour le simple fait d’avoir publié un fait avéré comme étant faux à l’encore du Président du Cameroun sans aucun autre élément était une violation de l’article 19 du Pacte (sur la liberté d’expression).

En revanche, la diffamation est une allégation (statement) ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération (causing injustified injury to the good reputation of another) de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

La fausse nouvelle se distingue dès lors de la diffamation sur un point essentiel : la première exige que le fait divulgué porte atteinte non pas à l’honneur de la personne intéressée mais à la paix publique. Elle est fait application lorsque le fait publié ne concerne pas sur une personne mais par exemple une politique ou pratique fausse qui serait pratiquée par l’autorité publique ou un groupe privé. A titre d’illustration, est caractéristique d’une propagation de fausse nouvelle le fait infondé d’affirmer qu’un groupe ethnique est en train de tuer des membres d’une autre communauté tel jour dans tel endroit. Ce fait porte effectivement atteinte à la paix publique et constitue une fausse nouvelle d’autant qu’il ne vise aucune personne, physique ou morale, nommément.

L’infraction de propagation de fausse nouvelle est d’application restrictive. Lorsqu’un homme politique X affirme qu’un autre a eu un comportement susceptible d’être une infraction pénale, il s’agit manifestement d’un fait pouvant relever seulement de la diffamation.

Transformer un fait susceptible de diffamation en un délit de propagation de fausse nouvelle pourrait constituer un abus de droit et de procédure. La diffamation demeure un conflit entre deux individus et il est tranché par le juge. La propagation de fausse nouvelle permet de mettre en marche tout l’appareil répressif de l’Etat. Elle devient un combat judiciaire entre l’Etat via la police et l’auteur des propos. Elle pourrait prendre la forme d’une répression politique pure et simple dans la mesure où l’infraction de propagation de fausse nouvelle peut avoir des incidences quant à la liberté physique du mis en cause.

Les organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie seraient bien avisées d’être particulièrement attentives sur toute dérive dans l’application de la loi pénale à des fins politiques.

Parvèz DOOKHY

Docteur en Droit en Sorbonne, Avocat

14 juil. 2011

Maurice contre les pirates somaliens: La justice au lieu de la confrontation armée


L'Express du 14 juillet 2011
GLOBAL: Maurice contre les pirates somaliens La justice au lieu de la confrontation armée

Stéphane BENOÎT

UNE COUR extraterritoriale somalienne à Maurice ? C’est ce que propose l’Organisation des Nations unies ( ONU).

Des négociations sont en cours entre les autorités mauriciennes et l’Union européenne quant au jugement et à la détention de pirates somaliens sur le modèle des accords qui ont été signés avec le Kenya ou les Seychelles. L’ambassadeur de France, Jean- François Dobelle, se félicite d’ailleurs que « Maurice prenne sa part du fardeau » ( dans un entretien accordé à l’express d’aujourd’hui en page 7 ). Ces négociations font suite aux recommandations du Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU, Jack Lang, pour les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes.

Le 21 juin dernier, les membres du Conseil de sécurité ont examiné le rapport du Secrétaire général, Ban Ki- moon, qui a présenté les modalités de création de juridictions spécialisées somaliennes pour juger les personnes soupçonnées de piraterie aussi bien sur les côtes somaliennes que dans les eaux de pays voisins. Parmi les propositions énoncées fi gure l’établissement d’une cour spécialisée somalienne extraterritoriale dont les structures seraient implantées dans un pays voisin, à l’instar de Maurice.

Pour Razack Peeroo, avocat et ancien Attorney general, il ne fait aucun doute qu’il y a les compétences voulues à Maurice – qui a une longue tradition judiciaire et qui est respectée mondialement – pour juger les pirates somaliens. « Cependant, il manquerait peut- être à nos juges l’expérience de leurs homologues étrangers qui ont connu des cas devant les Cours pénales internationales. » En quoi le choix de Maurice pour juger des cas de piraterie peut- il être pertinent ? Selon l’avocat Kailash Triloshun, le fait d’avoir hérité de deux systèmes juridiques élaborés, issus de la Common Law britannique et du Code civil français, est un atout majeur pour notre pays. Pourtant, dit- il, « instituer une Cour extraterritoriale à Maurice aura des implications, notamment en ce qu’il s’agit de la préservation, pour les pirates somaliens, de leurs droits fondamentaux » .
C’est ce que fait ressortir Parvez Dookhy, avocat spécialisé en droits de l’homme et droit international, basé à Paris : pour lui, il est primordial que la question des droits de la défense, dont la présomption d’innocence, dès l’appréhension des pirates en haute mer jusqu’à leur acheminement à Maurice, soit respectée. Pour ce faire, il faudra, entre autres, que des interprètes compétents viennent dans notre île s’adresser aux pirates : en effet, quatre langues sont parlées en Somalie, à savoir l’arabe, le borana, l’oromo et le somali.

Arsenal législatif

Pour que ce projet puisse se concrétiser, il faudrait idéalement que Maurice légifère et fournisse les structures indispensables.

« Tout un arsenal législatif est nécessaire pour l’arrestation, l’acheminement, la détention provisoire ainsi que la question du transfèrement du détenu, son retour dans son pays, après la condamnation » , poursuit Parvez Dookhy . Sur cette question, le 21 juin, le Secrétaire général avait précisé, entre autres, que « pour faire fonctionner une cour somalienne extraterritoriale dans un autre Etat de la région, il faut mettre en place un fondement constitutionnel et législatif somalien pour la cour, instituer une base pénale et procédurale adéquate dans le droit somalien pour les poursuites concernant les actes de piraterie et négocier un accord approprié avec l’Etat hôte pour réglementer toutes les questions liées au fonctionnement de la cour » . Ban Ki- moon a toutefois expliqué que les lois somaliennes doivent être révisées afi• d’être appropriées pour les poursuites.

Selon Razack Peeroo et Vijay Makhan, ancien secrétaire aux affaires étrangères et haut fonctionnaire de l’Organisation de l’unité africaine ( OUA), l’institution d’une telle cour à Maurice coûterait cher, que ce soit au niveau des infrastructures, du personnel juridique, des forces de sécurité que de l’incarcération des pirates. A l’évidence, « cela ne pourrait être fait sans le fi nancement des communautés internationales » , affi rme Kailash Triloshun. Sur ce point, Patricia O’Brien, secrétaire générale adjointe aux affaires juridiques des Nations unies, avait indiqué que Maurice est favorable à un tribunal extraterritorial mais se heurte à des diffi cultés techniques qui l’empêchent de l’accueillir. Reconnaissant la diffi culté d’évaluer le coût de la création d’une telle juridiction, elle a toutefois fait une comparaison avec les chambres de crimes de guerre de la Bosnie, dont le fonctionnement coûte environ 13 millions d’euros ( plus de Rs 500 millions) annuellement.

La mise sur pied d’une cour extraterritoriale à Maurice rencontre quelques réticences. Vijay Makhan se demande si cela ne nuira pas indirectement à l’industrie du tourisme, la présence de pirates somaliens sur notre sol représentant une menace pour la sécurité nationale. Il déplore que notre pays ait raté l’opportunité d’accueillir en 2005 la Cour de justice de l’Union africaine. « Si nous avions adhéré à ce projet, nous nous serions occupés de choses africaines dont celle de la Somalie. Cela aurait été une institution régionale qui nous aurait davantage rapprochés du continent » , résume- t- il.

6 juil. 2011

Cour nationale du droit d'asile: la présence du rapporteur au délibéré contestée

À

Mesdames et Messieurs les Président et Assesseurs

Cour nationale du droit d’asile

35, rue Cuvier

93558 MONTREUIL-SOUS-BOIS CEDEX

Recours n° : 10010051

Audience du 12 juillet 2011 à 13h45 s. 12

Envoyé par télécopie le 11/07/2011 11:23:44

Mémoire complémentaire

Pour :

M. MD PARVISSE

REQUÉRANT

Ayant pour conseil Maître Parvèz DOOKHY

Avocat au Barreau de Paris, Docteur en Droit en Sorbonne

1, rue Gay-Lussac

75005 PARIS

Téléphone : 01.48.36.55.29 Télec.01.45.48.44.04 Port. 06.16.66.12.80

Toque : G-361 p.dookhy@gmail.com

Et Maître Jean-Marc MARINELLI

Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

Contre :

Monsieur le Directeur de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides

DÉFENDEUR

*

* * *

L’exposant entend faire valoir les arguments ci-après exposés


I. Exposé des faits et de la procédure

Le requérant entend réitérer sa demande d’annulation de la décision attaquée de l’Office en sollicitant l’asile conventionnel et, de manière alternative, la protection subsidiaire.

Le requérant fait valoir les arguments qui suivent.

II. Discussion

Sur participation du rapporteur au délibéré

Le requérant demande à ce que le rapporteur ne participe pas au délibéré de la formation de jugement dans son affaire.

En vertu des dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et notamment de l’article R 733-17, les rapporteurs, qui ne font pas partie de la formation de jugement, participent aux délibérés sans voix délibérative. Selon l’usage répandu, ils sont les rédacteurs de la décision, à tout le moins, du projet de décision.

Le Conseil d’État a estimé que « la Commission des recours des réfugiés, devenue la Cour nationale du droit d’asile, qui est une juridiction administrative, doit observer toutes les règles générales de procédure dont l’application n’est pas écartée par une disposition formelle ou n’est pas incompatible avec son organisation » (Conseil d’État : 10 décembre 2008, ISLAM c/ OFPRA, n° 284159). Cette jurisprudence a été confirmée dans l’arrêt OFPRA c/ M. DAVID du 12 juillet 2009, req. N° 306490).

Le rôle du rapporteur à la Cour nationale du droit d'asile correspond à celui du commissaire du gouvernement devant une juridiction administrative avant la réforme introduite par le décret n° 2006-964 du 1er août 2006.

La présence du commissaire du gouvernement au cours du délibéré a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une affaire de la Grande Chambre du 12 avril 2006 intitulée MARTINIE c. FRANCE, (Requête no 58675/00), le juge européen a estimé que :

« b) Appréciation de la Cour

53. La Cour souligne en premier lieu que, si dans le dispositif (point 2) de l’arrêt Kress elle indique conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la « participation » du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat, il est fait usage dans la partie opérationnelle de l’arrêt tantôt de ce terme (§§ 80 et 87), tantôt de celui de « présence » (titre 4 et §§ 82, 84 et 85), ou encore des termes « assistance » ou « assiste » ou « assister au délibéré » (§§ 77, 79, 81, 85 et 86). La lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre néanmoins clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du Gouvernement au délibéré, que celle-ci soit « active » ou « passive ». Les paragraphes 84 et 85, par exemple, sont à cet égard particulièrement parlants : examinant l’argument du Gouvernement selon lequel la « présence » du commissaire du Gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire, la Cour répond que l’avantage pour la formation de jugement de cette « assistance » purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur du justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa « présence », exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré, et constate que tel n’est pas le cas du système français.

Tel est au demeurant le sens que l’on doit donner à cet arrêt au vu de la jurisprudence de la Cour, celle-ci ayant condamné non seulement la participation, avec voix consultative, de l’avocat général au délibéré de la Cour de cassation belge (arrêts Borgers et Vermeulen, précités), mais aussi la présence du procureur général adjoint au délibéré de la Cour suprême portugaise, quand bien même il n’y disposait d’aucune voix consultative ou autre (arrêt Lobo Machado, précité), et la seule présence de l’avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation française (arrêt Slimane-Kaïd (no 2), précité) ; cette jurisprudence se fonde pour beaucoup sur la théorie des apparences et sur le fait que, comme le commissaire du Gouvernement devant les juridictions administratives françaises, les avocats généraux et procureur général en question expriment publiquement leur point de vue sur l’affaire avant le délibéré.

54. Cela étant, la Cour rappelle que, sans qu’elle soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres précédents – même si, la Convention étant avant tout un mécanisme de défense des droits de l’homme, la Cour doit cependant tenir compte de l’évolution de la situation dans les Etats contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (voir, par exemple, les arrêts Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 70, CEDH 2001-I, et Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 74, CEDH 2002-VI).

En l’espèce, la Cour ne voit aucun motif susceptible de la convaincre qu’il y a lieu de réformer sa jurisprudence Kress.

55. Partant, il y a eu, en la cause du requérant, violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la présence du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat. »

Par ailleurs, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que: « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Le Conseil constitutionnel a estimé que la Commission des recours des réfugiés, devenue la Cour nationale du droit d'asile, était une « juridiction administrative » (Décision n° 98-399 DC du 05 mai 1998, cons. 16).

La protection prévue par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, faisant partie du bloc de constitutionnalité, ne peut être inférieure à celle prévue, puis développée, à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et citée supra.

En droit interne, la Constitution est la norme suprême. Aucune clause d'un traité ou d'un engagement international ne peut lui être contraire. Le Préambule de la Constitution de 1958 proclame que "la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international".

Le Conseil constitutionnel a accordé à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme toute la portée de l’article 6 de la Convention européenne.

Au regard de ce qui précède, la présence du rapporteur au délibéré méconnaît tout autant l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme s’applique dans le cas d’espèce en dépit d’un arrêt ancien du Conseil d’Etat du 10 janvier 2003, n° 228947, M. Cherif E. Le Conseil d’Etat avait alors estimé que : « la commission des recours des réfugiés ne statuant pas sur des contestations de caractère civil, le moyen tiré de ce que sa composition méconnaîtrait les stipulations du premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est, en tout état de cause, inopérant ». Cette jurisprudence est aujourd’hui forcément caduque dans la mesure où depuis l’entrée en vigueur de la Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile , la Cour nationale du droit d'asile a l’obligation de statuer sur une demande de protection subsidiaire qui est l’application même en droit interne français de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

A tout le moins, la jurisprudence Martinie et la réforme successive en matière du contentieux administratif démontrent que les règles posées par la Cour européenne font partie « règles générales de procédure dont l’application n’est pas écartée par une disposition formelle ». En effet, le code de justice administrative dispose désormais qu'au sein des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : « La décision est délibérée hors la présence des parties et du rapporteur public » (art. R732-2 du CJA), tandis qu'au Conseil d'État : « Sauf demande contraire d'une partie, le rapporteur public assiste au délibéré. Il n'y prend pas part. » (art. R733-3).

Le rapporteur exprime publiquement une position sur l’affaire dont est saisie la Cour nationale du droit d'asile. Sa présence au délibéré et son rôle en tant que rédacteur de la décision à intervenir lui permettent de soutenir jusqu’au prononcé de la décision son point de vue, préalablement exprimé publiquement, en violation du principe fondamental du respect du contradictoire.

Sur la communication des conclusions du rapporteur

Devant les juridictions administratives, les parties peuvent désormais demander communication du sens général des conclusions du rapporteur public préalablement à l’audience.

En vertu de cette règle, e requérant demande à ce qu’au moins le sens des conclusions du rapporteur lui soit préalablement communiqué.

Par ces Motifs

Et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d’office, et sous réserve de ses observations orales, le requérant persiste dans ses précédentes écritures et conclut à ce qu’il plaise à la Cour nationale du droit d’asile :

1) de prendre acte de sa demande à ce qu’au moins le sens des conclusions du rapporteur lui soit préalablement communiqué ;

2) de délibérer hors la présence du rapporteur ;

3) d’annuler la décision attaquée avec toutes conséquences de droit ;

4) de lui accorder l’asile conventionnel ;

5) à titre secondaire, de lui octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.

SOUS TOUTES RÉSERVES

ET CE SERA JUSTICE

Paris, le 5 juillet 2011