12 janv. 2009

Tromelin: la cogestion

Journal L’EXPRESS DU 12 JANVIER 2009 (Questions à…)

Questions à…



G.R.

Parvèz Dookhy

Avocat à la cour de Paris, conseiller légal de l’Ambassade de Maurice à Paris

Que pensez- vous de la proposition concrète de cogestion? Est- ce une option valable pour Maurice ?

La cogestion ne signifie pas souveraineté partagée ou co- souveraineté. Dans le cadre des négociations bilatérales entre la France et Maurice, la question de la souveraineté est écartée, mise entre parenthèse, du moins à ce stade. Ce qui veut dire que la France continue à exercer sa souveraineté entière sur Tromelin dans les faits et que Maurice continue à la revendiquer.

Néanmoins, la cogestion de l’île de Tromelin constitue une avancée significative de la position de Port- Louis. C’est un pas en avant indéniable.

Cela pourrait il remettre, selon vous, en question les revendications souveraines de Maurice ? Pourquoi ?

Je ne pense pas que la formule de la cogestion proposée implique une reconnaissance par Maurice de la souveraineté française. La cogestion peut être une étape intermédiaire ou un tremplin pour mieux affirmer la souveraineté de Maurice. Je pense que Maurice a tout à gagner à accepter la formule de cogestion qui pourrait, par ailleurs, être un modèle concernant le litige relatif à la souveraineté de Maurice sur les Chagos, dont Diego Garcia.

Les trois principaux volets du partenariat proposé concernent l’archéologie, la protection de l’environnement et la pêche. N’est ce pas surtout la pêche qui est intéressante dans ce cas, plus que les autres ? Est- il vraiment possible de gérer conjointement des eaux et donc les ressources halieutiques ? Quels sont les avantages et les inconvénients pour Maurice ?

La cogestion est avantageuse pour Maurice qui peut bénéficier de l’exploitation des ressources de Tromelin et de sa zone économique exclusive ( ZEE).

Tromelin dispose d’une ZEE de 280,000 km. pour une surface terrestre d’un kilomètre carré! C’est d’ailleurs tout l’enjeu. Si la flore est constituée principalement d’herbes grasses et d’arbustes peu denses, la faune, elle, est composée d’une colonie de tortues et d’oiseaux de mer. Les ressources halieutiques sont constituées principalement du thon et d’autres pélagiques migrateurs tels que les tortues de mer. A cela s’ajoute l’étendue de la ZEE qui recèle d’autres ressources potentielles. Ce n’est pas négligeable pour les permis de pêche accordés par Maurice dans la zone. L’enjeu, d’une part, est d’ordre géopolitique avec l’exploitation des ressources marines dans la ZEE à un moment où Maurice devient un véritable Sea Food Hub et d’autre part, la valeur scientifique en tant qu’un des observatoires des cyclones dans le sud- ouest de l’Océan Indien et un lieu de prédilection pour les tortues marines. Et je crois qu’il est même question, le cas échéant, d’une exploration pétrolière commune le moment venu!

Dans un sens, n’est- il pas possible d’admettre que la petite île Maurice a un appétit souverain d’ogre, bien supérieur à sa capacité de surveillance, de contrôle et de gestion de ces îles et de leurs eaux ?

Maurice, ou l’Isle de France, comme on l’appelait à l’époque, était le chef- lieu des Mascareignes. Le territoire mauricien est composé de plusieurs îles et des îlots. Outre Maurice, il y a Rodrigues, Agaléga, St Brandon, et aussi les Chagos et Tromelin. Auparavant, il y avait les Seychelles aussi qui faisaient partie de la colonie de Maurice. Actuellement, la population de la République de Maurice est composée de quatre peuples: le Mauricien, le Rodriguais, l’Agaléen et le Chagossien en exil. Et pour mémoire, il y avait un groupe d’esclaves, appelé les « esclaves oubliés » , qui a vécu sur Tromelin pendant au moins 15 années! Maurice peut rayonner dans l’Océan Indien grâce à sa diversité culturelle et linguistique. La République de Maurice n’est pas si petite lorsqu’on voit l’étendue de sa zone économique exclusive. Le pays a une propension internationale naturelle.

Propos recueillis par Gilles Ribouet