21 juil. 2008

CONSEIL PRIVE

CONSEIL PRIVE

Invalidation éventuelle de l’élection d’Ashock Jugnauth dans la circonscription numéro 8. Une histoire de corruption électorale alléguée dont le rebondissement final doit venir, d’ici le mois d’octobre au plus tard, de l’instance britannique, le Privy Council. On l’évoque, on en parle. Mais pourquoi avoir recours à une instance juridique étrangère ? Simple héritage de la colonisation ? Et surtout dans quels cas peut-on faire appel au jugement final des Law Lords ? Quelle est la procédure à suivre ?

Le Conseil privé est l’instance suprême de la justice mauricienne. Localement, c’est bien la Cour suprême qui trône en haut de la pyramide de la justice mauricienne. Il s’agit du dernier recours dont bénéficient les citoyens si le jugement des cours inférieures est contesté. C’est en fait la plus haute cour d’appel. Locale, entendons-nous bien. Car le conseil privé de la Reine est en réalité l’instance supérieure et étrangère pouvant casser un jugement de la Cour suprême.

Pour saisir le Privy Council le justiciable doit obtenir l’aval de la Cour suprême. Toutefois, malgré l’accord, c’est au Conseil privé de décider si l’affaire sera entendue par les Law Lords. Il n’y a qu’en matière de droits constitutionnels que l’accord de la Cour suprême n’est pas obligatoire. Dev Hurnam, dans une affaire l’opposant à l’Etat, après que la Cour suprême a cassé l’autorisation de la cour intermédiaire pour sa liberté conditionnelle en 2004, avait saisi directement le Conseil privé. Celui-ci après lecture du dossier avait ordonné la libération immédiate de Dev Hurnam avant de rendre son jugement six mois plus tard.


«Une élection partielle»

En bref, le Conseil privé est bel et bien l’organe suprême de la justice mauricienne. Il confère surtout au système juridique mauricien une véritable indépendance. Les conspirations ou collusions locales, s’il y en a, ne peuvent tenir devant un panel de Law Lords loin de la réalité mauricienne. Dans le cas d’Ashock Jugnauth, la décision finale du Conseil privé aura une incidence très claire sur l’échiquier politique. Le jugement de la Cour suprême, s’il est confirmé, engendrera une élection partielle dans la circonscription numéro 8.







>UN ORGANE SUPREME POUR DES MEMBRES DU COMMONWEALTH

Ce ne sont pas moins de 14 Etats indépendants (anciennes colonies britanniques) qui reconnaissent le Conseil privé de la Reine comme le dernier ressort d’appel dans leur système judiciaire. D’autres juridictions, principalement des dépendances anglaises, reconnaissent bien entendu l’autorité judiciaire du Conseil privé. La saisine du «Privy Council» est adressée à «Sa Majesté en Conseil» (Her Majesty in Council), principalement pour des affaires criminelles, pour les pays ou territoires suivants : Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, les îles Cook et de Niue, Grenade, Jamaïque, Saint-Kitts - et - Nevis, Ste Lucie, Saint-Vincent-et les Grenadines, Tuvalu, ainsi que toutes les dépendances britanniques dont Sainte Hélène, les Bermudes, Gibraltar, Montserrat… Dans le cas de Maurice, l’appel est directement adressé au comité judiciaire du Conseil privé. En plus de Maurice, cette procédure -- dans la forme -- s’applique également à la Dominique, Trinité-et-Tobago et, uniquement en matière de droits constitutionnels, au petit royaume du Pacifique de Kiribati. Dans le cas de Brunei, l’appel est adressé au sultan qui prend avis du Conseil privé.







QUESTIONS A… PARVES DOOKHY

AVOCAT AU BARREAU DE PARIS, AUTEUR D’UNE THESE DE DOCTORAT SUR LE CONSEIL PRIVE.



Qu’apporte de particulier au système judiciaire mauricien le recours possible au «Privy Council» ? Peut-on parler d’un reliquat de la colonisation ?

Le comité judiciaire du Conseil privé (Judicial Committee of the Privy Council) occupe une place importante dans les institutions de Maurice. C’est le juge réellement suprême, la plus haute juridiction de Maurice. Ainsi, nous pouvons dire au monde que nous avons une justice de standard équivalent aux britanniques. C’est une bonne garantie offerte aux investisseurs étrangers. Pourquoi vont-ils choisir Maurice ? C’est en particulier un pays, où, bien sûr, la main-d’œuvre n’est pas chère, mais qui est un Etat de droit, dans lequel le juge suprême n’est pas sous l’influence du pouvoir politique de Maurice. Nous avons, en tout cas, en ce qui concerne le Conseil privé, une justice totalement indépendante et par conséquent impartiale. Ce n’est nullement le cas dans beaucoup d’autres pays. Je ne le vois pas comme un reliquat de la colonisation mais plus comme un atout pour Maurice et qu’on doit précieusement conserver. On ne peut pas parler de reliquat de la colonisation car le constituant mauricien, le Parlement de Maurice, peut à tout moment décider de mettre fin à ce système en révisant la Constitution sur ce point. Le Conseil privé n’est pas imposé. D’ailleurs, lorsque Maurice est devenue une République, les dirigeants de l’époque avaient choisi, à juste titre, de conserver le droit de recours au comité judiciaire du Conseil privé.



Quelle est la procédure de saisine du «Privy Council» ?

Pour saisir le Conseil privé, il faut être autorisé par le juge qui a rendu la décision qu’on veut attaquer. En fait il faut obtenir une autorisation de la Cour suprême. Il y a des matières où la cour ne peut pas refuser d’accorder l’autorisation, notamment en matière constitutionnelle. Egalement lorsque l’enjeu financier est très important. Si la Cour suprême refuse l’autorisation, on peut demander une autorisation spéciale (special leave) au Conseil privé lui-même. Tout avocat du barreau de Maurice peut plaider devant le Conseil privé, mais s’agissant de l’avoué, il faudrait qu’un avoué londonien agréé s’en occupe. Même si la formation de jugement (Board) du Conseil privé viendra, comme c’est annoncé, siéger à Maurice, il faut savoir que le greffe (Registrar) reste à Londres. Le recours continue à se faire à Londres. Il faut toujours retenir les services de l’avoué (solicitor) londonien (london agent). C’est ce qui coûte cher aux mauriciens. En réalité, le fait que le Conseil privé vienne à Maurice ne changera rien au coût d’un procès. Parce qu’au lieu pour le justiciable de prendre en charge les frais de voyage et d’hébergement de son avocat mauricien à Londres, là, il prendra les frais de voyage et d’hébergement de l’avoué londonien à Maurice. C’est ce dernier qui coûte cher. S’il y a une réforme à faire c’est à ce niveau: de permettre aux avoués mauriciens de pouvoir agir auprès du Conseil privé.



Y a-t-il des types d’affaires en particulier qui relèvent, en dernier ressort, du «Privy Council» ? par exemple, ce qui relève des droits constitutionnels ?

Oui, effectivement le Conseil privé a une compétence particulière en matière constitutionnelle. Mais il peut aussi intervenir dans toutes les affaires, pénale, administrative et civile également. Il peut intervenir dès que l’affaire soulève un point de droit important.



Dans un article sur le constitutionnalisme mauricien, vous avez écrit, en substance, que la Cour suprême et le «Privy Council», apportent un double contrôle constitutionnel. Qu’est-ce que cela signifie au juste ?

Oui, c’est par comparaison avec le système français ou ce qui est similaire et est pratiqué dans d’autres pays. Il y a une cour constitutionnelle. Il n’y a pas de droit d’appel contre une décision d’une cour constitutionnelle. Or, à Maurice, avec notre système, il y a la Cour suprême qui est notre juridiction constitutionnelle de premier degré. Et ensuite, le Conseil privé peut statuer en appel en la matière. C’est pourquoi j’ai dit que nous avons un double contrôle.



La Cour suprême n’est donc pas l’autorité judiciaire la plus haute du pays ? Est-ce pour éviter une quelconque interférence, des collusions ou des conflits d’intérêts que Maurice a décidé en 1992 de garder le recours au «Privy Council» ?

La Cour suprême n’est en réalité pas suprême. Elle tient son appellation de l’époque française. C’était le Tribunal suprême. Mais, comme le comité judiciaire du Conseil privé peut contrôler ses décisions, il faut plutôt dire que c’est le Conseil privé qui est la juridiction suprême de Maurice. La Cour suprême n’est au mieux qu’une cour d’appel. Je pense qu’il était sage de conserver le droit de recours au Conseil privé et c’est encore le cas. C’est une question de garantie offerte aux justiciables pour une justice de qualité. Dans toute affaire devant le Conseil privé, le débat prend des proportions différentes. Il ne faut pas oublier que Maurice est un tout petit pays où dans toutes les cérémonies les membres du gouvernement rencontrent le personnel du judiciaire. Il y a également le phénomène du communautarisme, ou communalisme comme on dit. La Cour suprême n’offre pas toutes les garanties d’indépendance par rapport aux groupes de pressions, au gouvernement. L’impartialité des juges, c’est une autre question. Le Conseil privé permet de pacifier tout débat et de mettre réellement fin à tout litige. Si c’était le juge mauricien qui devait statuer en dernier, on pourrait toujours dire qu’il était motivé par d’autres considérations, communautaires ou politiques etc. Avec le Conseil privé, ce n’est pas possible.




Journal L'EXPRESS du 21 juillet 2008

21/07/2008

Title:L’ultime recours