24 août 2008

Le cri en défense de Port-Louis, la Capitale

La ville de Port-Louis ne date pas d’hier. Ce lieu que l’histoire, très tôt déjà, consacrera un avenir prometteur, est constitutif de la nation mauricienne elle-même.

Dès 1729, elle acquit une épaisseur historique importante et se révèle comme un futur destin national en devenant la capitale administrative et un port principal. Déjà, son avènement réunira, ce qui se démontre être de son ressort unique et à jamais égalé sur le territoire mauricien, deux lois universelles des lieux bâtisseurs de nations, une rencontre du pouvoir (ou des pouvoirs) et de la finance (ou les sources possibles et structurantes de l’économie), unique carrefour permettant l’espoir d'un futur, d'un peuple et des citoyens à venir, dont nous ne faisons que partie aujourd'hui. Cette vocation spécifique, et unique sur la métropole mauricienne, est encore ce qui lui dote une stature exceptionnelle, que ne peuvent rivaliser une autre ville, ni une idée d'une capitale artificielle à reconstruire.

En ce sens, l’Hôtel du Gouvernement demeure l’enceinte emblématique de cette vision bien portlouisienne des choses, qui faisait de Port-Louis le centre d’un petit empire régnant sur les Mascareignes et par conséquent, d'une localité qui dépasse ses confins même. Pour autant qu’il soit admis aujourd'hui au rang de monument national, cette reconnaissance de l’Hôtel historique ne restitue pas toutefois l’ambition qui l’anime. Pourtant, l’emblème, dans ses dimensions fugitives, est une conception du devenir mauricien, qui est l’héritage de tous les citoyens d'aujourd'hui, un avoir, un acquis.

Port-Louis devint une cité, sous un silence transitoire. Par concession officielle (‘Formal Grant’) de la Reine, annoncée par le Gouverneur Sir John Shaw Rennie, le 25 aôut 1964, reçue pleinement le 28 août 1966 par le Conseil municipal de Port-Louis, faisant suite à une triple considération, notamment: (1) la dimension, dignité et l’importance de la ville; (2) la part importante que joue l’autorité municipale dans l’administration des services et dans sa capacité à s’en tenir responsable et efficace et enfin (3) dans l’autonomie municipale en question, l’administration londonienne complète la part de l'histoire que jouera Port-Louis (vide, Port-Louis – Handbook of the City Council, The Mauritius Printing Co. Ltd, 1966, pp. 57).

Si la cité dénote un ensemble de paramètres chiffrés à prendre en compte, et une vision urbaniste classique de l’espace s’attestant comme le nœud de la politique et de l’économique, elle nous retient plus dans sa dignité urbaine comme principe d’accumulation et de rayonnement des structures constituantes d'une société que permet un espace donné. Au sortir du XXe siècle, Port-Louis n’a connu qu’un renforcement de cette dimension capitulaire de lui-même, revêtu de la dignité de cité. De sorte que, d'une ville constitutive de la nation, Port-Louis devient la capitale structurante de la République.

Ce bref rappel - pour réducteur qu’il soit des réalités complexes en jeu que nous ne pouvons ici évoquer - d'un parcours historique de Port-Louis nous a semblé nécessaire pour mettre en relief un point clé: le sort de Port-Louis est lié au sort de la nation mauricienne, et le rayonnement de celui-ci fera la reconnaissance de celle-là. À tous points de rencontre historique, (les anglais au XIXe siècle, le tournant du XXe siècle, la prise de conscience d'un Mahatma Gandhi dans les rues de Port-Louis, de la dimension profonde et exemplaire de la société mauricienne en 1901 – vide, Deolall Thacoor, Mahatma Gandhi in Mauritius, The Royal Printing, 1970,- et tant d'autres qu’on ne saurait évoquer ici) la conscience de cette ville-carrefour interpellait ainsi, pour ce qu’elle ne fut pas exprimée en ces termes-ci, n’en est pas pour autant absente, de ce lien entre la société mauricienne et sa capitale aux dimensions qui lui dépassent.

En contrepartie, le délaissement de Port-Louis, en l’état actuel des choses, dans la démarche d'une compréhension géostratégique nationale et régionale, sera synonyme de la mort d'une certaine idée de la nouvelle entité mauricienne, tout comme, et à titre de comparaison uniquement, l’abandon d'un Londres serait aussi la mort du Royaume-Uni comme il s’est incarné et ce qui a fait son principe d'être, ou encore, celui d'autres grandes capitales géostratégiques d'aujourd'hui, tel Paris, New York, et tant d'autres.

Décision-blitz menaçant l’acquis historique et géostratégique.

L’’intérêt d'une nation est de s’entendre avec la Capitale qui la porte.

Il nous parait donc, dépourvu de tout bon sens, que le Conseil des ministres du gouvernement actuel décide, faisant impasse sur les voies de réflexions que demandent des grandes décisions, de ‘délocaliser’ les institutions de la capitale (le Parlement, la Cour suprême, la Police, 70 départements et le pouvoir politique) à Highlands, une décision aux facettes des plus surprenantes les unes des autres. Pour n’en évoquer ici que quelques unes, cette ‘délocalisation’ nécessiterait des investissements estimés d’environ 3 milliards de dollars (alors qu’à la simple réflexion, a priori, une poignée même de dollars manque pour rénover quelques infrastructures rudimentaires de la Capitale); ou encore que divers organismes sont retenus en guise de conseil qui ne perçoivent en rien la réalité et l’âme de la situation mauricienne, dont la CRISIL Infrastructure Advisory de l’Inde et un certain rapport malaysien, qui pour être de l'autre bout du monde, ne sont en rien habilités à nous éclairer sur notre devenir mauricien. Sans que le public n’a eu conscience de l’événement, ni de la gravité dont il sera question ici, le « vice-Premier ministre » et ministre des Finances, Rama Sithanen, a même participé à des présentations internationales d'un projet qui soit nettement moins clairvoyant et réaliste que ceux dont il convoite un appui financier.

A la réflexion, cette décision du Conseil des Ministres est grave et alarmante sur divers plans. Nous ne pouvons ici qu’évoquer quelques points saillants autour de cette décision.

Dès l’abord, toutefois, c'est une décision inconstitutionnelle (3) et suspecte (4). Mais bien plus, elle révèle la fragilité des institutions mauriciennes dans une version radicale; ce n'est pas les institutions mêmes qui deviennent cible d'une politique douteuse, mais toute la matrice qui leur permet d’exister (2). Elle révèle une incompétence plus réelle qu’imaginaire, car les décisions sérieuses, touchant les bases mêmes de la nation mauricienne, sont prises sans réflexion sérieuse et sans que le peuple ne soit invité à y participer, pour peut-être palier au manque de réflexions des décisionnaires. Mais le mal est, pour ainsi dire, plus inquiétant, car, au-delà de son inconstitutionnalité patente, elle révèle un constant d'un à la va-vite décisionnel, sans que soit même posé et réfléchi le cadre d'un problème qui, en l’occurrence, serait plutôt fictif et relèverait d'une toute autre nature, celle de la bonne planification des choses (1), dévoilant ainsi à l’œuvre une logique captive d'une certaine perversion mauricienne, en passe de devenir le propre de l’Administration. Il n'est que trop surprenant qu’une décision qui touche tout le monde, tous les mauriciens, et non seulement les Portlouisiens, ne soit pas mis sur une table ronde publique. Même si la démocratie mauricienne n’a jamais été sérieusement définie, ce serait ici une pratique totalitaire qu’il ne s'agit pas de prendre à la légère.

(1) Quand l’incompréhension enfante des fictions

Le problème de la circulation routière.

La revendication simpliste, d’apparence post-décisionnelle, de cette décision-blitz relèverait du motif que Port-Louis serait aux prises avec des ‘problèmes de circulation’, et donc toute solution consisterait en adoptant une attitude de fuite devant elle.

Il n'est nullement l’intention ici de nier une certaine difficulté de circulation routière ponctuelle et restrictivement localisée, au sujet du tout Port-Louis, comme, d'ailleurs, il en existe, plus grave, et de dimensions mille fois composées, au sujet des grandes villes. Il n’en reste pas moins que la sagesse des grandes villes et leurs manières de comprendre les facteurs en jeu se démarquent d’une mécompréhension suicidaire dont témoignerait cet illogisme de facture mauricienne.

En effet, tout pays en voie de développement, et même des pays développés, sont amenés par la force des choses, et nécessairement ainsi, à connaître le phénomène de l’urbanisation, ou plus précisément, ce que certains dénommeraient de nos jours comme la métropolisation. Qu’il soit suffisant, ici, d’évoquer un principe largement reconnu : la marche vers le développement se fait de pair avec une certaine métropolisation; les plus grandes puissances du monde sont des métropoles, ou plutôt des mégapoles. Une société prospère, en toute logique, s’inscrit dans sa métropolisation, ou encore dans sa mégapolisation. Bien des facteurs expliqueront ce constat généralisé, que nous ne pouvons évoquer ici. Qu’il nous soit suffisant encore une fois de simplement cerner une règle qui préside au phénomène, celle qui se donne dans le tissage qui règne dans une métropole entre les centres du pouvoir, de l’agir, de la création, de la stabilité et de la mouvance. S’y ajoutent, les sources et les ressources financières, sous l’égide des institutions juridiques accessibles. La métropole, la capitale, est finalement un tout se donnant dans une dimension esthétique d’elle-même, dans une conscience dirigée que la métropole renvoie au peuple, comportant non moins une dimension de valeurs nécessaire dans un devenir de soi.

Le développement par métropolisation conduit de façon tout à fait naturelle à une concentration ou hyper-concentration des circuits d’itinéraires vers la métropole en question. Une métropole n’est pas plus alors une campagne de loisirs, bien que des tentatives furent entreprises pour combiner les deux espaces en questions, essayant d’accoucher des formes métropolitaines cachant des campagnes internes - (ainsi les grands parcs, par exemple, le Hyde Park de Londres, ou le Central Park de New York, et initialement le jardin de la Compagnie de Port-Louis) - mais ceci ne peut être qu’à la suite d'une conscience aigue d'un d’aménagement urbain qui s’impose. Mais cette vision ne saurait nier en quoique ce soit qu’une métropole est avant tout une activité en effervescence, sérieuse, dense, et permanente. Dans tous les cas, il n’existe pas de ville au monde qui ne connait pas une situation de trafic routier à aménager, sans pour autant qu’elle devient le théâtre, et le motif d'une ‘délocalisation’. La circulation dense est, au contraire, le signe de la dynamique sociale. C’est le témoignage de la facture du développement.

Pour ce qu’il s’agit du cas mauricien, le discours à ce sujet n'est pas encore posé dans un vrai cadre de compréhension du phénomène. Le cas portlouisien se distingue des autres villes. Il n'atteint nullement la gravité d'une grande métropole engloutie sous une circulation paralysante. Ce que le gouvernement pose come ‘problème de circulation’ ne serait au fait peut-être que comparable à une ville moyenne aux heures de pointe.

L’aménagement de la circulation routière portlouisienne ne s’exige qu’en ces moments précis. C'est alors que la circulation devient objet de réflexion. Après 19 heures Port-Louis devient une ville fantôme, déserte, telle une science fiction dans laquelle les habitants se seraient volatilisés. Les vrais paramètres du problème sont donc tout autre, localisés dans le temps (heures de pointes) et localisés dans l’espace (les artères cibles). Ils n’ont rien de commun avec la représentation peinte sur ce point, comme étant insurmontable, se situant aux extrémités de la possibilité de la nation, comme un désastre qui atteigne la capitale, devant laquelle la réflexion s’abdique. La représentation officielle démontre plutôt une incapacité de restituer un état de fait nécessaire dans sa propre dimension et, en contrepartie, révèle un symptôme d'une mauvaise planification ou d'une abdication de planification.

La reconnaissance, dans sa dimension exacte, de l’encombrement routier et de la responsabilité de tout gouvernement dans la voie du développement d'un pays, ne peut conduire en aucune façon à une destruction ou délocalisation des institutions d’une capitale, synonyme de fuite et d’incompétence. Au contraire, le défi consiste à allier les forces de la ‘métropolisation’ d'une capitale, avec une vision du développement. Il faut se rappeler que ce qui se délocalise aujourd'hui, se délocalisera peut-être demain, faute de pouvoir comprendre le phénomène à l’œuvre, et faut de pouvoir répondre à la responsabilité de la planification urbaine qui s’exige.

Nous ne pouvons ici faire état du désastre économique qu’encours une telle décision. Bornons-nous, simplement, à souligner que dans le fractionnement de Port-Louis, il est à anticiper un coût négatif énorme qui pèsera sur le futur mauricien, car les élans du développement seront atteints.

Au petit problème de circulation physique des gens (qui ne demande que quelques mesures simples mais avec l’esprit d'une bonne administration), l’on détruirait l’apport constitutif de la capitale qui est la grande circulation, c'est-à-dire le grand mouvement économique, socio-culturel et politique. C’est toute la vie du pays face à lui-même et au monde que projette en version du possible une capitale. Cette version du possible n’est au fait que celle de son progrès. Les villes mourront pour ceux qui ne pourront comprendre des phénomènes universels qui ne demandent qu’à être gérer.

Jadis les voies de circulation remplissaient deux fonctions essentielles, celle de permettre la circulation physique, et celle du morcellement du sol. De nos jours, elle est espace de rationalité avant tout, qui la constitue, et la double. On n’a qu’à songer à une démarche comme le sens unique de circulation, ou le carrefour à giration, ou encore les voies superposées. Ce sont des mimétiques simples de la pensée, qui s’associent au développement d'un lieu donné et le favorisent. Sur les vertèbres du sol de la ville, se superpose toute une construction rationnelle de l’espace, tant en espace rationnelle que la rationalité de l’espace. Cet espace rationnel devient la marque de la cité et sa capacité à se comprendre elle-même, et donc sa capacité à se produire en destin mauricien. C'est ainsi que les capitales qui ont pu se parler, se comprendre, se permettent une rationalisation d'un infra-espace même (par exemple, celui de la construction des rails métropolitains sous terre).

2. Le meurtre de la matrice institutionnelle

L’enjeu de Port-Louis n'est peut-être pas tant d’imiter les grandes métropoles que de pouvoir se poser et se comprendre comme matrice du projet mauricien. Port-Louis, dans sa dimension capitulaire, ne serait sur le plan du progrès institutionnalisé, ce que Maurice ne pourra être, comme cadre d’existence.

Dans la démarche de se poser comme objet de réflexion, il nous appartient de reconnaître l'être collectif urbain et urbanisant portlouisien (c'est-à-dire cette dynamique moderne de développement qui se manifeste, et en ce sens très diurnal et nomadique) et son nécessaire accord avec un espace urbain appelé à se matérialiser en son sein même. Le développement mauricien se tient justement ici. C'est ce qui rendrait possibles des manifestations économiques uniques.

La Grande circulation permet le développement intellectuel et économique et esthétique. A bien la comprendre, elle permet aussi la petite circulation, celle que le Conseil des ministres méprend comme étant un ‘problème de circulation’ tout court.

Il serait moins couteux de régler les faux problèmes de Port-Louis, qui découle d'une incompétence, que de solutionner une abdication de la part du Conseil des ministres, suicidaire pour le nouvel État mauricien. Tuer Port-Louis par le biais de cette ‘délocalisation’ serait, au fait, tuer Maurice. En termes économique, ce serait une régression grave.

3. L’inconstitutionnalité usurpatrice.

Sur un tout autre aspect, cette décision du Conseil des ministres révèle comment l'État mauricien peut à tout moment basculer dans une grande instabilité et peut devenir un régime totalitaire. Nous avons évoqué dans le passé l’instabilité même des institutions de Maurice.

Il est ici un exemple spécifique, pris dans le secret d'un bureau au sujet d'une décision qui pourtant touche la démocratie, le peuple dans son ensemble. Cette décision aurait exigé un débat national. Aussi, il n’existe pas de voix contestataire de l’opposition, ni celle d'un journalisme sérieux.

Les modalités structurelles de la prise de cette décision porte aussi la marque d'un vice d’inconstitutionnalité. Outre qu’il n’existe pas ici des voies de consultation du peuple dans son ensemble comme évoquée, les éléments d'une décision de cette envergure ne peuvent s’appuyer que sur une grande politique de consultation des acteurs institutionnels concernés. D'abord, la collectivité territoriale en question. Si la capitale est une cité par concession royale, un statut juridique qui demeure le cas aujourd'hui, elle est par conséquent une collectivité autonome, avec ses spécificités. Il lui appartient d'abord d’établir un constat sur les points qui sont de son ressort (et non pas, en l’occurrence, un groupe malaysien ou autre). L’urbanisation ou la contre-urbanisation de Port-Louis à l’aube du XXIe siècle l’interpelle, la ravirait ou l’angoisserait. Le saut décisionnel exercé par le Conseil des ministres ouvre l’interrogation sur le champ des pouvoirs dont dispose celui-ci et quant à son incompétence juridique à prendre certaines décisions.

Mais, nous ne pouvons ici évoquer la technicité juridique qui s’impose. Il suffirait toutefois de mettre en relief certains aspects logiques.

La rupture démocratique se fait sentir peut-être plus facilement s’agissant le cas de la cour de justice qui serait délocalisée dans le cadre de ce projet. Cette part de la décision est la plus préoccupante. Elle constitue une atteinte à la séparation des pouvoirs et aux fondements de la démocratie. Le judiciaire ne peut être sous le contrôle du gouvernement, sauf à basculer dans une dictature, dans un régime totalitaire. Enlever une cour de justice de la capitale constitue une atteinte grave à la démocratie mauricienne, et à la séparation des pouvoirs, en ce sens que la décision ne reconnait pas l’indépendance de la cour de justice, ne serait-ce que pour manque de l’avoir consultée sur un projet qui la concerne. Une cour de justice n'est pas une masse de pierre. Elle est le pivot, la gardienne de la démocratie. Sa possibilité de fonctionner dépend d'une réflexion complexe, à commencer par une localité qui est sanctifiée par une rationalité juridique territorialisée. C’est ainsi interférer dans une architecture juridique qui est du ressort du judiciaire et des juristes.

Sur un rapprochement plus appliqué sur la possibilité de fonctionner de la justice, des interrogations, comme entre autres, l’accès à la justice ont droit de citer. L’accès à la justice est le droit de tout citoyen. Délocaliser tout un réseau de cours (dans sa signification juridique, en ce qu’elle comporte comme niveau de juridiction, comme division juridictionnelle, etc.) ne peut se faire sans réflexion préalable. A priori, elle constitue une atteinte directe à l’accès à la justice. Celui-ci constitue une atteinte plus grave comme celle des droits fondamentaux et de grands pans de droit matériels.

La décision des ministres doit être attaquée devant la justice même pour avoir fait basculer les fondations de la démocratie mauricienne.

De plus, le gouvernement n’est pas mandaté pour prendre une telle décision. Ce manque de mandat témoigne encore d'un certain totalitarisme. Le programme gouvernemental lors des élections ne comportait pas un tel programme, et le peuple n’a pas eu l’occasion de se prononcer en la matière. Il n'est donc pas ici question d'une simple décision administrative qui serait le propre d'un Conseil des ministres. C’est une mesure qui assène la stabilité et la bonne marche des structures économique, politique, juridique du peuple mauricien et son acquis de la République.

4. Une décision suspecte

Tout permet à croire que cette décision vise autre chose. Sur le plan formel, la magistrature mauricienne se doit d’être vigilante quant à des délits d’initiés qui se seraient commises (les acheteurs des terrains ayant des connaissances illégales de ce genre, avant l’heure, créant une féodalité capitulaire du Moyen âge). Sur le plan des non-dits, cette décision touche à une réécriture abusive de l’Histoire. C’est sur ce plan peut-être que l’ampleur du stratagème se dévoilerait dans ce qu’il comporte de traumatisant.

L’horizon du futur

Port-Louis, comme beaucoup d'autres lieux, est un acquis national.

Le défi de tout gouvernement est la rencontre du passé dans le présent, d'un passé lourd ou léger, devant l’être collectif du présent. Les grandes capitales sont des succès d'un passé se lisant dans un présent, qui le redouble. Ainsi se justifient les grands projets humanistes des grands jardins, reflet de la conscience du peuple et de ses valeurs. La projection d’une esthétique urbaine n'est au fait que le reflet en filigrane de ce qu’un peuple pourra être, mais ne pourra dépasser. Il n'est pas une anomalie qu’on n’a pu réfléchir à Maurice sur un cadre esthétique mauricien, sur ce qui permit une rencontre temporelle dans sa forme spatiale.

Si Mahé de Labourdonnais (1699-1753), qui nous retient ici uniquement dans sa capacité à urbaniser une île (il arriva le 5 juin 1735), entendait faire de Port-Louis une cité modèle coquette et confortable (vide, Auguste Toussaint, Port-Louis, deux siècles d’histoire (1735-1935), La Typographie Moderne, Port-Louis, 1936), cette vision des choses, est notre acquis aujourd'hui, un acquis de tous les mauriciens et certainement de tous les Portlouisiens, dont nous ne pouvons que perpétuer. Dès son arrivée, La Bourdonnais y avait fixé sa résidence (conformément à l’édit du roi daté du 4 Novembre 1734, in Mahé de La Bourdonnais, Documents réunis par le comité du bi-centenaire de La Bourdonnais, 11 février 1899, Port-Louis, E. Pezzani, rue de la Poudrière, 1899), le chef-lieu d’alors qui le vit toujours levé à quatre heures du matin, le jour suivant les travaux, la nuit travaillant dans son cabinet, pour régler, entre autres, l’anachronique ‘circulation routière’, et selon ses termes propres : « de la facilité de transports dépend la richesse des habitants de tout pays » (p. 21, ibid). La réflexion n'est donc pas nouvelle pour notre Conseil des ministres.

Si on a pu, à tort au à raison, parler d'une ébauche des ‘gratte-ciels’ (du moins l’expression trouva mention dans le ‘Quid’) à Port-Louis, et des quelques projets (dont le front de mer de Caudan), la structure spatiale ‘labourdonnais’ est une structure urbaniste unique de la capitale, qui a conçu sa dimension superstructurelle de la conscience mauricienne. Si pourtant les mauriciens n’auront qu’à réjouir de cet héritage commun, comme ils en héritent d'autres venus d'horizons multiples, il importe à tout gouvernement, à toute mairie, post-labourdonnais, de concevoir une structure d’envergure pour cette capitale qui comme toujours demeure fidèle à sa vocation historique, en devenant la condition de la rencontre du pouvoir et de la finance, condition nécessaire de développement, de richesse et du bien-être du peuple. La dette du mauricien envers sa capitale est ainsi totale. Il n'appartient pas à un gouvernement de causer la fracture de Port-Louis.

Les pays de discontinuité, de révolutions, de ceux des dirigeants qui ont voulu réécrire l’Histoire à leurs manières partisanes, promoteurs des idéologies pernicieuses, de tortures, de massacres, de génocide, ont tous rompu avec les capitales historiques en créant de nouvelles capitales. Les exemples géopolitiques vont dans ce sens. C’est alors une source de grandes instabilités, de régressions culturelles, de destruction de la marche acquise vers la construction d'une identité nationale. C'est aussi la destruction de l’architecture institutionnelle. C'est un recul net devant le devenir humain appelé à s’accomplir dans l'État de droit nouvellement conçu.

L’organisation de la République, dans son reflet capitulaire, celle qu’attend un peuple en devenir de lui-même, dans la spatialisation d'une conscience socio-historique à laquelle nous tous mauriciens nous participons, de gré ou de force, sera peut-être l’illusion de notre modernité mauricienne.

Port-Louis ne se réduit pas à ses aqueducs et ses rues. Il est un défi perpétuel de changement et de progrès. Il est l’image de l’être collectif mauricien qui a besoin de voir une vision de ce lieu qui lui dote son identité, et lui promet son avenir. Port-Louis encore ne se décompose pas facilement en des fonctions administrative, culturelle, économique ou politique, voire juridique ‘délocalisables’ à tout moment. Il est de nos jours le point de rencontre, les possibilités d’être du citoyen mauricien. Dans un pays en devenir, cette possibilité de la capitale pleine est un facteur nécessaire de développement, un devoir de garantie gouvernementale, un devoir constitutionnel. Aujourd'hui la capitale appelle les citoyens à sa défense.

Riyad Dookhy, Avocat

21 juil. 2008

CONSEIL PRIVE

CONSEIL PRIVE

Invalidation éventuelle de l’élection d’Ashock Jugnauth dans la circonscription numéro 8. Une histoire de corruption électorale alléguée dont le rebondissement final doit venir, d’ici le mois d’octobre au plus tard, de l’instance britannique, le Privy Council. On l’évoque, on en parle. Mais pourquoi avoir recours à une instance juridique étrangère ? Simple héritage de la colonisation ? Et surtout dans quels cas peut-on faire appel au jugement final des Law Lords ? Quelle est la procédure à suivre ?

Le Conseil privé est l’instance suprême de la justice mauricienne. Localement, c’est bien la Cour suprême qui trône en haut de la pyramide de la justice mauricienne. Il s’agit du dernier recours dont bénéficient les citoyens si le jugement des cours inférieures est contesté. C’est en fait la plus haute cour d’appel. Locale, entendons-nous bien. Car le conseil privé de la Reine est en réalité l’instance supérieure et étrangère pouvant casser un jugement de la Cour suprême.

Pour saisir le Privy Council le justiciable doit obtenir l’aval de la Cour suprême. Toutefois, malgré l’accord, c’est au Conseil privé de décider si l’affaire sera entendue par les Law Lords. Il n’y a qu’en matière de droits constitutionnels que l’accord de la Cour suprême n’est pas obligatoire. Dev Hurnam, dans une affaire l’opposant à l’Etat, après que la Cour suprême a cassé l’autorisation de la cour intermédiaire pour sa liberté conditionnelle en 2004, avait saisi directement le Conseil privé. Celui-ci après lecture du dossier avait ordonné la libération immédiate de Dev Hurnam avant de rendre son jugement six mois plus tard.


«Une élection partielle»

En bref, le Conseil privé est bel et bien l’organe suprême de la justice mauricienne. Il confère surtout au système juridique mauricien une véritable indépendance. Les conspirations ou collusions locales, s’il y en a, ne peuvent tenir devant un panel de Law Lords loin de la réalité mauricienne. Dans le cas d’Ashock Jugnauth, la décision finale du Conseil privé aura une incidence très claire sur l’échiquier politique. Le jugement de la Cour suprême, s’il est confirmé, engendrera une élection partielle dans la circonscription numéro 8.







>UN ORGANE SUPREME POUR DES MEMBRES DU COMMONWEALTH

Ce ne sont pas moins de 14 Etats indépendants (anciennes colonies britanniques) qui reconnaissent le Conseil privé de la Reine comme le dernier ressort d’appel dans leur système judiciaire. D’autres juridictions, principalement des dépendances anglaises, reconnaissent bien entendu l’autorité judiciaire du Conseil privé. La saisine du «Privy Council» est adressée à «Sa Majesté en Conseil» (Her Majesty in Council), principalement pour des affaires criminelles, pour les pays ou territoires suivants : Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, les îles Cook et de Niue, Grenade, Jamaïque, Saint-Kitts - et - Nevis, Ste Lucie, Saint-Vincent-et les Grenadines, Tuvalu, ainsi que toutes les dépendances britanniques dont Sainte Hélène, les Bermudes, Gibraltar, Montserrat… Dans le cas de Maurice, l’appel est directement adressé au comité judiciaire du Conseil privé. En plus de Maurice, cette procédure -- dans la forme -- s’applique également à la Dominique, Trinité-et-Tobago et, uniquement en matière de droits constitutionnels, au petit royaume du Pacifique de Kiribati. Dans le cas de Brunei, l’appel est adressé au sultan qui prend avis du Conseil privé.







QUESTIONS A… PARVES DOOKHY

AVOCAT AU BARREAU DE PARIS, AUTEUR D’UNE THESE DE DOCTORAT SUR LE CONSEIL PRIVE.



Qu’apporte de particulier au système judiciaire mauricien le recours possible au «Privy Council» ? Peut-on parler d’un reliquat de la colonisation ?

Le comité judiciaire du Conseil privé (Judicial Committee of the Privy Council) occupe une place importante dans les institutions de Maurice. C’est le juge réellement suprême, la plus haute juridiction de Maurice. Ainsi, nous pouvons dire au monde que nous avons une justice de standard équivalent aux britanniques. C’est une bonne garantie offerte aux investisseurs étrangers. Pourquoi vont-ils choisir Maurice ? C’est en particulier un pays, où, bien sûr, la main-d’œuvre n’est pas chère, mais qui est un Etat de droit, dans lequel le juge suprême n’est pas sous l’influence du pouvoir politique de Maurice. Nous avons, en tout cas, en ce qui concerne le Conseil privé, une justice totalement indépendante et par conséquent impartiale. Ce n’est nullement le cas dans beaucoup d’autres pays. Je ne le vois pas comme un reliquat de la colonisation mais plus comme un atout pour Maurice et qu’on doit précieusement conserver. On ne peut pas parler de reliquat de la colonisation car le constituant mauricien, le Parlement de Maurice, peut à tout moment décider de mettre fin à ce système en révisant la Constitution sur ce point. Le Conseil privé n’est pas imposé. D’ailleurs, lorsque Maurice est devenue une République, les dirigeants de l’époque avaient choisi, à juste titre, de conserver le droit de recours au comité judiciaire du Conseil privé.



Quelle est la procédure de saisine du «Privy Council» ?

Pour saisir le Conseil privé, il faut être autorisé par le juge qui a rendu la décision qu’on veut attaquer. En fait il faut obtenir une autorisation de la Cour suprême. Il y a des matières où la cour ne peut pas refuser d’accorder l’autorisation, notamment en matière constitutionnelle. Egalement lorsque l’enjeu financier est très important. Si la Cour suprême refuse l’autorisation, on peut demander une autorisation spéciale (special leave) au Conseil privé lui-même. Tout avocat du barreau de Maurice peut plaider devant le Conseil privé, mais s’agissant de l’avoué, il faudrait qu’un avoué londonien agréé s’en occupe. Même si la formation de jugement (Board) du Conseil privé viendra, comme c’est annoncé, siéger à Maurice, il faut savoir que le greffe (Registrar) reste à Londres. Le recours continue à se faire à Londres. Il faut toujours retenir les services de l’avoué (solicitor) londonien (london agent). C’est ce qui coûte cher aux mauriciens. En réalité, le fait que le Conseil privé vienne à Maurice ne changera rien au coût d’un procès. Parce qu’au lieu pour le justiciable de prendre en charge les frais de voyage et d’hébergement de son avocat mauricien à Londres, là, il prendra les frais de voyage et d’hébergement de l’avoué londonien à Maurice. C’est ce dernier qui coûte cher. S’il y a une réforme à faire c’est à ce niveau: de permettre aux avoués mauriciens de pouvoir agir auprès du Conseil privé.



Y a-t-il des types d’affaires en particulier qui relèvent, en dernier ressort, du «Privy Council» ? par exemple, ce qui relève des droits constitutionnels ?

Oui, effectivement le Conseil privé a une compétence particulière en matière constitutionnelle. Mais il peut aussi intervenir dans toutes les affaires, pénale, administrative et civile également. Il peut intervenir dès que l’affaire soulève un point de droit important.



Dans un article sur le constitutionnalisme mauricien, vous avez écrit, en substance, que la Cour suprême et le «Privy Council», apportent un double contrôle constitutionnel. Qu’est-ce que cela signifie au juste ?

Oui, c’est par comparaison avec le système français ou ce qui est similaire et est pratiqué dans d’autres pays. Il y a une cour constitutionnelle. Il n’y a pas de droit d’appel contre une décision d’une cour constitutionnelle. Or, à Maurice, avec notre système, il y a la Cour suprême qui est notre juridiction constitutionnelle de premier degré. Et ensuite, le Conseil privé peut statuer en appel en la matière. C’est pourquoi j’ai dit que nous avons un double contrôle.



La Cour suprême n’est donc pas l’autorité judiciaire la plus haute du pays ? Est-ce pour éviter une quelconque interférence, des collusions ou des conflits d’intérêts que Maurice a décidé en 1992 de garder le recours au «Privy Council» ?

La Cour suprême n’est en réalité pas suprême. Elle tient son appellation de l’époque française. C’était le Tribunal suprême. Mais, comme le comité judiciaire du Conseil privé peut contrôler ses décisions, il faut plutôt dire que c’est le Conseil privé qui est la juridiction suprême de Maurice. La Cour suprême n’est au mieux qu’une cour d’appel. Je pense qu’il était sage de conserver le droit de recours au Conseil privé et c’est encore le cas. C’est une question de garantie offerte aux justiciables pour une justice de qualité. Dans toute affaire devant le Conseil privé, le débat prend des proportions différentes. Il ne faut pas oublier que Maurice est un tout petit pays où dans toutes les cérémonies les membres du gouvernement rencontrent le personnel du judiciaire. Il y a également le phénomène du communautarisme, ou communalisme comme on dit. La Cour suprême n’offre pas toutes les garanties d’indépendance par rapport aux groupes de pressions, au gouvernement. L’impartialité des juges, c’est une autre question. Le Conseil privé permet de pacifier tout débat et de mettre réellement fin à tout litige. Si c’était le juge mauricien qui devait statuer en dernier, on pourrait toujours dire qu’il était motivé par d’autres considérations, communautaires ou politiques etc. Avec le Conseil privé, ce n’est pas possible.




Journal L'EXPRESS du 21 juillet 2008

21/07/2008

Title:L’ultime recours

31 mai 2008

L’encadrement juridique des nouvelles technologies de l’information à l’île Maurice

Petite île de l’Océan Indien, plus connue pour ses plages paradisiaques, l’Etat mauricien affiche depuis quelques années une ambition : faire du pays une cyberîle[1], les nouvelles technologies étant dans l’ère moderne la vitrine du niveau de développement économique et social d’un pays. Les nouvelles technologies de l’information sont amenées à devenir un des piliers de l’économie de l’île.

Ainsi, en quelques années l’île Maurice a pu, dans une certaine mesure, transcender la fracture numérique existante au départ et devenir dans la région et, notamment sur le continent africain, un leader dans le domaine des technologies de l’information et de la communication[2]. Maurice a exploité ses atouts, le bilinguisme, le droit mixte[3], le multiculturalisme et le bon fonctionnement de ses institutions et sa stabilité politique, pour permettre un développement avancé et rapide des technologies de l’information.

Toutefois, l’intégration informatique n’a pas encore atteint un niveau complètement satisfaisant. Le e-gouvernement[4] n’est certainement pas suffisamment opérationnel[5] encore, le commerce électronique et l’intégration des nouvelles technologies dans la productivité et la commercialisation[6] ont encore un chemin à parcourir pour que la cyberculture soit partie intégrante du mode de vie du citoyen. Par ailleurs, le coût de connexion à internet reste relativement élevé pour les particuliers.

Cependant, dans l’ère de l’infocom, l’autorité politique a voulu, par une inflation législative poser le cadre, assurer la sécurité des biens informationnels et protéger le citoyen contre le cybercrime. Une série de lois nouvelles[7] a été créée. Le Comité sur les technologies de l’information et de la communication (Information and Communication Technologies Board)[8], institué en 2001, est chargé de réguler et de conseiller l’autorité publique en matière des nouvelles technologies de l’information[9] et en particulier proposer toute mesure tendant à la démocratisation de l’accès au numérique[10]. Tout un arsenal juridique nouveau est venu combler les règles de droit commun qui s’appliquent à l’informatique et l’internet.

Dans le cadre étroit de la présente étude, il ne nous sera pas possible de traiter tout le droit mauricien de l’informatique, mais simplement trois aspects importants : le commerce électronique (I), la protection des données personnelles (II) et la lutte contre le cybercrime (III).

I. Le commerce électronique

Le commerce électronique va connaître une véritable explosion et les cyberacheteurs vont inévitablement s’accroître, non seulement sur le plan national mais également dans les échanges avec l’étranger. La maîtrise du commerce électronique repose dès lors sur la prévention de risques bien précis.

L’internet, comme dans tous les pays, a posé des problèmes particuliers qui appellent des réponses, sinon originales, du moins spécifiques. Le législateur mauricien a élaboré dès l’an deux mille une nouvelle loi qui précise et anticipe les conflits qui pourraient surgir en matière de la preuve en droit civil et commercial. Bien entendu, cette loi ne révolutionne pas le droit civil et commercial mauricien, qui à l’instar du droit français, exige pour certains contrats un support en papier sous la forme authentique[11] mais simplement apporte des précisions quant aux nouveaux modes de preuve[12] issus des nouvelles technologies[13] et les encadre.

Nous aborderons le contrat électronique (A) et les règles de sécurité posées par le législateur pour sa mise en œuvre (B).

A. Le contrat électronique

Le contrat écrit sur support papier a une vertu essentielle qui va de soi : celle de servir de preuve à l’existence des obligations réciproques des parties. Le problème de la preuve devient une question essentielle dans le contrat électronique car la preuve d’un échange présente des faiblesses, notamment l’usurpation de l’identité et la modification du contenu même du contrat.

La Loi sur le commerce électronique de 2000[14] pose d’emblée le principe de la recevabilité du contrat électronique comme élément de preuve. « Aucun contrat ne sera dépourvu d’effet juridique, de validité et du caractère exécutoire seulement en raison qu’un support électronique ait été utilisé pour sa formation »[15]. Il en va de même, précise la loi, de l’expression de la volonté (declaration of intent) des parties[16] si elle a été exprimée par la voie informatique.

Ce principe audacieux posé, le législateur a dû aborder le difficile problème de la signature afin de sécuriser les échanges.

Dans le contrat sur support papier, la manifestation de la volonté est traduite par l’apposition d’une signature. La signature et le contenu de l’acte se trouvent sur le même support. Rien de tel ne se produit dans le contrat électronique. La liaison « contenu du document » et « signature » est assurée logiciellement. Traditionnellement, la signature manuscrite permet d’identifier son auteur. La signature électronique reste abstraite et peut être mise en œuvre par n’importe qu’elle personne.

Comme pour le contenu du contrat, la Loi sur le commerce électronique accorde la même valeur probante à la signature électronique que celle qui est manuscrite[17]. La Loi toutefois, et par nécessité, pose des conditions pour que le support numérique soit admissible comme preuve au même titre que le support papier. Le procédé utilisé doit permettre d’identifier l’émetteur (originator) et le destinataire (addressee) d’un contrat au moyen d’un procédé fiable. Il faut également que le contrat ait été établi dans des conditions de nature à garantir son intégrité et qu’un procédé fiable permette de garantir le lien entre la signature électronique avec l’acte auquel elle s’attache. La loi privilégie l’accusé de réception du document électronique par les parties pour accroître la sécurité.

Il est par ailleurs nécessaire d’organiser une vérification technique de provenance, un système de certificat, qui ne peut valablement être assurée que par un tiers à la transaction concernée : c’est le tiers certificateur[18].

B. Les règles de sécurité

Le certificat électronique est une attestation électronique qui lie des données de vérification de signature à une personne identifiée et permet ainsi d’identifier la personne. Autrement dit, c’est la carte numérique du signataire. Un certain nombre d’exigences techniques sont posées par la Loi.

Les prestataires de service de certification (certification authorities) doivent eux-mêmes recevoir des agréments auprès de l’autorité publique[19]. Il est normal qu’il soit élaboré, distribué et contrôlé dans des conditions strictes[20]. Le certificat doit être attribué à une personne dont l’identité, voire les qualités professionnelles ont été vérifiées. Il doit pouvoir être révoqué très rapidement en cas de fraude notamment[21]. Le destinataire (addressee) du document doit pouvoir en vérifier la validité en temps réel. Ces conditions sont nécessaires pour que le certificat soit fiable (reliable) et accepté par l’autre partie lors de la conclusion d’un contrat.

La loi met en place un encadrement pour l’utilisation des clés asymétriques pour assurer la confidentialité et l’intégrité des documents. Ces procédés sont utilisés dans de nombreux pays et repose sur un système de cryptographie[22] au moyen d’un chiffrage.

Dans cette volonté de développer les échanges électroniques, il était tout aussi important pour le législateur d’élaborer un dispositif normatif de protection des données des internautes et des consommateurs en général.

II. La protection des données personnelles

La Loi mauricienne sur la protection des données (Data protection Act 2004) est relativement récente. C’est sans doute avec un peu de retard en la matière que le pouvoir public a légiféré pour combler une lacune alors qu’il a affiché une politique progressiste dans le développement des nouvelles technologies de l’information. La banalisation de l’informatique a amplifié les risques d’atteinte à la vie privée.

La crainte d’une atteinte à la vie privée ne réside pas tant dans l’accumulation des données, par le pouvoir public ou une personne privée, mais dans l’interconnexion des bases de données et dans le croisement de flux d’information de sources très diverses. Le mauricien, comme tout le monde, est fiché plusieurs fois.

La Loi mauricienne reprend ce qui existe déjà dans de nombreux pays en créant un Office de protection des données (Data Protection Office) (A) sous la direction d’un commissaire (Commissionner) pour exercer un contrôle des collectes, de la détention et de l’usage des données.

Le citoyen dispose d’un droit d’initiative pour la mise en place du contrôle et pour la protection de sa vie privée (B)

A. L’Office de protection des données

Les traitements automatisés d’informations nominatives relevant du champ d’application de la loi doivent faire l’objet d’une demande (registration) du responsable des fichiers (data controller) auprès de l’Office qui peut lui délivrer une autorisation (certificate). La demande d’autorisation doit comporter un certain nombre d’informations[23] sur les conditions du traitement ainsi que sur la protection des données personnelles et de la vie privée, la nature, l’origine, et la durée de conservation des informations nominatives traitées, les destinataires habilités à recevoir communication de ces informations, les rapprochements éventuels possibles, les interconnexions etc.

Par ailleurs, l’Office de protection est en charge d’une pluralité de missions à l’encontre des exploitants de fichiers de données. Il doit notamment surveiller la loyauté dans la collecte[24], l’obligation d’information préalable des personnes, le respect des droits d’accès, de communication, d’opposition et de rectification dont bénéficient les intéressés, la limitation de la durée de conservation des données[25], la protection et la mise à jour des données, l’indication de la finalité des traitements dans les déclarations etc. On peut toutefois regretter l’absence d’interdiction formelle de collecter des données sensibles (sensitive data)[26], telles l’appartenance religieuse ou ethnique. La Loi pose simplement le principe que la collecte doit être conforme à sa destination ou objectifs légitimes (lawful purposes), ce qui, bien entendu, exclut les collectes des données sensibles.

Pour exercer ces missions, le commissaire, qui doit être un avocat d’au moins de cinq années d’expérience[27], dispose de pouvoirs importants de contrôle et d’investigation comme les autorités répressives[28]. Il peut se rendre sur le lieu d’exploitation, avec le concours de tous les services de l’Etat, en particulier la police, s’il a obtenu au préalable une autorisation du juge. En cas d’infraction constatée, il peut en référer aux autorités de police.

B. Droits des personnes faisant l’objet de traitements informatisés (data subjects)

L’Office doit veiller à l’exercice des droits des personnes concernées par la collecte des données.

La Loi accorde un droit d’accès aux informations (access to personal data) et l’intéressé a le droit d’interroger les services chargés de mettre en œuvre les traitements automatisés en vue de savoir si les traitements portent sur des informations nominatives le concernant, et le cas échéant, d’en obtenir communication sur demande écrite[29].

La Loi reconnaît au titulaire du droit d’accès le droit de demander des rectifications au fichier. Cela comprend, outre la rectification, la mise à jour, et la possibilité de compléter un fichier[30]. Le droit du citoyen mauricien est en cela comparable à ce qui est accordé aux citoyens de grands pays.

Pour compléter le dispositif d’encadrement des nouvelles technologies de l’information, le législateur a également conférer plus d’efficacité au droit pénal dans la lutte contre les délits et crimes liés aux nouvelles technologies de l’information.

III. La lutte contre la cybercriminalité

Le développement de la cyberculture génère comme dans toutes les sphères de la vie sa criminalité. La criminalité peut être celle de droit commun, commise à l’aide de l’informatique ou internet[31], mais elle peut aussi être inhérente et propre aux technologies de l’information. C’est la malveillance informatique, la fraude informatique, qui ne tombe pas sous le coup de la loi pénale classique. Le législateur mauricien a répondu aux déficiences du droit pénal au regard de la répression de la délinquance informatique.

La Loi sur l’utilisation malveillante et le cybercrime de 2003 a créé de nouveaux délits (A) et fait une adaptation de la procédure pénale en raisons de la spécificité des nouveaux délits (B).

A. Les nouveaux délits

La délinquance informatique est en pleine mutation. La technologie évolue plus rapidement que le droit qui a tendance à accuser des retards. Face à cette difficulté, le législateur mauricien a créé des incriminations larges qui peuvent regrouper de nouvelles techniques de fraudes ou de destruction à venir. Le législateur a essayé d’anticiper les moyens malveillants du futur malgré ses limites de connaissance au moment où il légifère. La criminalité informatique est en transformation constante en raison même de l’évolution technologique à un rythme accéléré.

La Loi répertorie de grandes catégories d’infractions : les infractions contre la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données (accès illégal (unauthorised access to computer data[32]), interception illégale), d’atteinte aux systèmes d’information[33] (damaging or denying access to computer[34]), la révélation d’un code secret, la fraude électronique[35] et le fait de mettre à disposition un programme informatique destiné à commettre des infractions[36] Les sanctions maximales prévues sont sévères et peuvent atteindre, dans certains cas, vingt années de prison et une forte amende.

B. Adaptation de la procédure pénale

La procédure pénale a été adaptée afin de permettre la répression des nouveaux délits. La police a bénéficié de nouveaux pouvoirs dans l’investigation et peut en particulier elle peut obtenir d’un juge en chambre[37] (Judge in chambers) toute ordonnance[38] utile à empêcher la disparition des programmes malveillants ou toutes données obtenues frauduleusement. La police a également été investie du pouvoir de perquisition sous le contrôle préalable d’un magistrat.

L’infraction informatique, comme l’internet, transcende les frontières. Consciente de cette réalité, le législateur a voulu renforcer la coopération internationale des autorités de police et judiciaires en rendant extradable l’auteur d’un cybercrime.

Conclusion

Au terme de cette étude, le juriste ne peut que saluer l’activisme du législateur ces dernières années en judiciarisant les nouvelles technologies de l’information. Un développement accru de la cyberculture ne pouvait avoir lieu qu’accompagné d’un cadre juridique répondant aux standards internationaux. Toutefois, le juriste attaché à la mixité du droit mauricien ne pourra que regretter l’absence d’inspiration du législateur des modèles d’encadrement mis en œuvre dans des pays francophones. Le droit sur les nouvelles technologies tel qu’élaboré à Maurice est une importation du droit des pays de Common Law, et bien entendu en particulier de l’ancienne métropole, la Grande-Bretagne. Or, ce droit est venu se greffer sur des disciplines relevant plutôt du droit français, notamment le droit civil. Le contrat est, à titre indicatif, géré pour une large par le Code civil mauricien, appelé encore code napoléon. Le contrat électronique tel qu’il a été formulé par le législateur mauricien n’est que la transposition des règles élaborées dans les pays de Common Law.


Dr Parvèz DOOKHY

[1] « Au cœur de la cyberîle », L’Express (quotidien de l’île Maurice), du 16 novembre 2006, Hors série.

[2] Maurice dispose d’un réseau moderne complètement digitalisé. La liaison avec l’international est assurée par des satellites et par la voie ultrarapide SAFE, câble optique sous-marin.

[3] Le droit mauricien est issu et est d’inspiration à la fois du droit français et de la Common Law. Sur le sujet voir Daniel FOKKAN, « La jurisprudence comme source de droit à Maurice : problème d’un pays de droit mixte », Revue de la Recherche juridique : droit prospectif, 1998, pp. 327 à 335.

[4] http://www.gov.mu/portal/goc/ncb/file/leaflet.pdf

[5] http://www.gov.mu/portal/site/Mainhomepage

[6] John REED : « Cyber-Island : Big effort to tout for technology business », Financial Times, 13 mars 2006.

[7] Loi sur les technologies de l’information et de la communication de 2001 (The Information and communication technologies Act 2001), Loi sur l’utilisation malveillante de l’ordinateur et le cybercrime de 2003 (The Computer misuse and cybercrime Act 2003) et Loi sur le commerce électronique de 2000 (The Electronic Transaction Act 2000), la Loi sur la protection des données (numériques) de 2004 (Data protection Act 2004).

[8] Il fonctionne selon le mode d’une autorité administrative indépendante.

[9] Il appartient au Comité de gérer les noms de domaines à l’île Maurice.

[10] Article 16 de la Loi de 2001 sur les technologies de l’information.

[11] En matière de vente d’immeuble, de testament etc.

[12] Le droit mauricien de la preuve en matière civile et commercial est complexe parce qu’il est une des branches du droit la plus mixée. La Common Law autant des les règles du droit civil issu du code civil napoléonien s’appliquent.

[13] Ian LLOYD, « On-line contracting – A Common Law perspective », pp. 183 à 209, in Jacques RAYNARD (sd) : « Les premières journées internationales du droit du commerce électronique », LITEC, 2000.

[14] Une loi similaire existe dans de nombreux pays du Commonwealth.

[15] L’article 10 de la Loi dispose que : « No contract shall be denied effect, validity or enforceability solely on the ground that an electronic record was used in its formationLa formulation, qui peut paraître ambiguë au regard du style français est conforme au style d’écriture juridique de la Common Law.

[16] Article 11 de la Loi.

[17] L’article 8 de la Loi affirme : « Where any enactment requires a signature, or provides for certain consequences if a document is not signed, an electronic signature shall satisfy that requirement ».

[18] Voir infra.

[19] http://www.icta.mu/it/auth.htm

[20] Article 37 de la Loi sur le commerce électronique.

[21] Article 28 de la Loi sur le commerce électronique.

[22] Sur le sujet voir Xavier LINANT DE BELLEFONDS, « Le droit du commerce électronique », PUF, 2005, v. p. 101 et s.

[23] Article 35 et suivants de la Loi précitée.

[24] Article 24-1 de la Loi sur la protection des données de 2004.

[25] Article 28 de la Loi précitée.

[26] Article 25 de la Loi précitée.

[27] Article 4-3 de la Loi précitée.

[28] Article 17 de la Loi précitée.

[29] Articles 41 et suivants de la Loi précitée.

[30] Article 44 de la Loi précitée.

[31] Les plus courants sont la pédophilie, l’escroquerie etc. Les dispositions classiques de la loi pénale permettent de sanctionner la plupart de ces infractions.

[32] Article 3 de la Loi sur l’utilisation malveillante de l’ordinateur et le cybercrime de 2003.

[33] C’est en particulier les « virus » qui sont visés en ce qu’ils perturbent le fonctionnement du système.

[34] Article 7 de la Loi précitée.

[35] Cette catégorie d’infraction est extrêmement large et peut comprendre notamment le phishing, technique visant à adresser un courrier électronique à un internaute l’invitant à e connecter à un site, copie parfaite d’un site connu de l’internaute (généralement sa banque) et à lui réclamer des informations confidentielles, en particulier les coordonnées bancaires. La fraude électronique, selon la Loi, est constituée de tout acte causant frauduleusement une perte chez la victime.

[36] Article 9 de la Loi précitée.

[37] Le Juge en Chambre statue en matière de référés.

[38] Article 11 de la Loi précitée.