29 avr. 2010

Entretien de Parvèz Dookhy avec Gilles Ribouet, Journal l'Express

1/ Pensez-vous que les leaders politiques actuels seraient tentés d'aller vers un régime semi-présidentiel?

L’idée n’est pas nouvelle. Paul Bérenger l’avait déjà proposé dans les années 80. Il s’agit en fait d’un régime à la française. Le Président a plus de pouvoirs ou plutôt un rôle accru dans la définition (et la conduite) de la politique de la nation. Les leaders politiques sont peut-être tentés d’instaurer ce régime mais je pense que ce ne sont pas pour les mêmes raisons. Navin Ramgoolam peut trouver dans ce régime un moyen de rester aux commandes après deux mandats consécutifs (s’il remporte les élections du 5 mai). Il sera ainsi élu au suffrage universel en tant que président, en laissant le gouvernement à quelqu’un de plus jeune. Pour Paul Bérenger, je pense que c’était un moyen pour redevenir Premier ministre plus facilement. Il me semble que cette idée était évoquée dans le cadre d’une alliance PTR/MMM qui n’a pas eu lieu. Avec une telle alliance, ils allaient remporter une très large majorité, Navin Ramgoolam redevenait Premier ministre le temps nécessaire avant l’adoption de la réforme et Président élu après et Paul Bérenger le succédait comme Premier ministre. C’était pour Paul Bérenger une bonne solution pour les raisons qu’on pourrait aisément comprendre.

2/ Est-ce que cela mènerait obligatoirement vers une IIe république?

C’est de la sémantique. Ce n’est pas obligé. En France, le système semi-présidentiel est apparu dans le cadre d’une évolution sans changer de République. C’est une évolution de la Vème République qui a donné naissance au régime semi-présidentiel. Ce qui est sûr, c’est qu’on va se démarquer du système parlementaire westiminstérien actuel. Le centre du pouvoir risque de graviter autour du Président et non plus le premier ministre qui servira de fusible (quand ça va mal, le premier ministre est vite remplacé pour un nouveau départ). Dans le système westminstérien (parlementaire classique), le Premier ministre est responsable devant le Parlement. Dans le système semi-présidentiel, le Président est responsable devant le peuple et le premier ministre est constitutionnellement responsable devant le parlement mais politiquement il l’est devant le Président.

3/ Aller vers un régime semi-présidentiel n'est-il pas une façon d'aller vers la réforme électorale tant attendue et débattue pour en finir avec le problème des communautés?

Je ne le pense pas. Si on élit le Président au suffrage universel et qu’il devient l’homme fort de l’exécutif, les lobbys nous diront aisément qu’il faut être issu de l’ethnie majoritaire pour ce poste. Et pour équilibrer, le Premier ministre pourra, lui, être issu d’une ethnie minoritaire (un peu comme pour le vice premier ministre actuellement). Ce serait simplement transférer le problème.

4/ Devrait-il y avoir obligatoirement la création d'une seconde chambre parlementaire, comme un Sénat, un conseil des Sages?

Une deuxième chambre parlementaire devrait permettre de mieux contrôler l’action du gouvernement et débattre des projets de lois. Il faudrait alors une navette entre les deux chambres parlementaires avant l’adoption d’une loi. Néanmoins, je suis contre la nomination des sénateurs telle que proposée par l’Alliance du Cœur. Parce qu’au lieu de renforcer le pouvoir du parlement, c’est le pouvoir du Premier ministre qui se trouve renforcé : il appartiendrait au Président et Premier ministre essentiellement de nommer les sénateurs, le président étant lui-même nommé par le Premier ministre. Autrement dit, le Premier ministre nommerait que ceux qui n’agissent que par sa volonté. Personnellement je suis pour une élection au suffrage indirect des sénateurs. La séparation des pouvoirs est le fondement du régime. On pourrait imaginer un système dans lequel ce sont les élus locaux (municipaux et de district et des députés) qui élisent les sénateurs selon un scrutin proportionnel. Les sénateurs ne doivent pas avoir plus de légitimité politique et démocratique que les députés. Si non le système pourrait devenir instable. Mais la nomination est une farce à la démocratie ! La proportionnelle permettrait de reproduire le rapport des forces entre partis politiques au Sénat.

5/Quelles réformes constitutionnelles seraient selon vous nécessaires pour moderniser les institutions mauriciennes ?

Il faudrait de petites retouches pour mieux les faire fonctionner. Je pense qu’il faut augmenter le nombre des députés à l’Assemblée nationale. Actuellement la moitié des députés (30 à 35 députés) est occupée à des fonctions administratives ou ministérielles au sein de l’Assemblée (ministre, private parliamentary secretary, whip, speaker et ses suppléants etc.). Il n’y a pas assez de députés (à plein temps) pour contrôler l’action du gouvernement et composer des commissions permanentes. Il faudrait passer à une centaine de députés (4 par circonscription). On peut aussi ajouter éventuellement un député par continent pour représenter les mauriciens à l’étranger (ils n’ont pas le droit de vote actuellement). Le Président de la République devrait être élu (actuellement il est choisi par le Premier ministre et l’Assemblée ratifie ce choix) par l’ensemble des députés et chefs des administrations locales (maires, présidents des conseils de district, assemblée de Rodrigues). Le Président pourrait peut être jouer un plus grand rôle sur la scène internationale. L’équilibre fondamental ne changerait pas ainsi. Pour le Sénat, il n’aura de sens et une certaine légitimité que si les sénateurs sont élus indirectement comme je l’ai indiqué.

In L'Express du 29 avril 2010