10 oct. 2010

Entretien dans le journal "Le Dimanche" du 10/10/10 sur la réforme constitutionnelle, réalisé par Jimmy Jean Louis




Le débat est relancé à Maurice sur la question d’avoir une deuxième république. Quelles reformes constitutionnelles vous semble importantes ?

On peut faire des réformes sans parler d’une IIème République. On parle d’une autre République lorsqu’on modifie l’équilibre institutionnel, par ex. si l’on passe d’un régime parlementaire classique d’aujourd’hui à un régime présidentiel l’américaine. Un changement de République traduit aussi l’idée d’une instabilité constitutionnelle, ce qui est mauvais pour l’image d’un pays. En fait, certains proposent un régime présidentialiste à la française (c’est un régime parlementaire dans lequel le Président joue un rôle accru). Le terme présidentiel est mal utilisé à Maurice. Oui, des réformes constitutionnelles sont nécessaires, mais ce sont des retouches qui vont dans le sens d’une amélioration, sans changer l’équilibre fondamental. Ce sont des mises à jour qu’il faudrait.

Faut-il allez vers un système présidentiel à la française ?

Nous avons à Maurice, un système politique dit « parlementaire » inspiré du modèle de Westminster. Ce système est caractérisé par un rapport équilibré et mutuel entre le Parlement et le Gouvernement. Ce dernier est issu des rangs des députés majoritaires et est collectivement responsable devant l’Assemblée. Le Chef de l’Etat, quant à lui, ne conserve qu’une fonction arbitrale en cas de crise et, pour le reste, protocolaire. Pour la présidentialisation de notre régime, il suffirait de procéder à trois changements : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (le peuple vote et choisit le Président), faire du Chef de l’Etat le président du conseil des ministres (cabinet meeting) et de lui accorder un droit autonome de dissolution de l’Assemblée Nationale. Fort de sa légitimité démocratique, le Président aurait un rôle accru dans la définition de la politique de la nation et celle-ci serait conduite et mise en application seulement par le Premier ministre et son gouvernement. Le Premier ministre, qui est maintenu, serait alors tout à la fois responsable, juridiquement devant le Parlement, et, politiquement devant le Chef de l’Etat.

Ce bicéphalisme risque de bouleverser l’équilibre institutionnel nécessaire à la mise en place d’une politique gouvernementale sur le long terme. Avec le multipartisme tel que nous la connaissons, l’on pourrait aisément aboutir à une paralysie des institutions si le Président et le Premier ministre ne sont pas du même bord politique ou sont en concurrence. Pays émergeant, Maurice ne peut se permettre le luxe d’une cohabitation conflictuelle à la tête de l’Etat. Il y aurait un risque que les deux légitimités, Président et Premier ministre, s’affrontent. Les deux auraient une légitimité populaire. Néanmoins, l’on pourrait accorder un véritable statut intermédiaire au Chef de l’Etat. Actuellement le Président n’est que le successeur du Gouverneur-général. Il est choisi, en toute discrétion, par le Premier ministre seul et ce choix est ratifié par l’Assemblée Nationale. Nul ne peut faire acte de candidature à cette fonction. Il faudrait qu’il y ait une vraie élection, que des personnalités puissent faire acte de candidature librement. Dans une République moderne, le Président doit être élu pour une raison tout simplement démocratique et pour lui conférer l’autorité de sa fonction. Dans notre cas, il pourrait l’être par un suffrage universel indirect, c'est-à-dire par un collège composé de députés (éventuellement de sénateurs si ces fonctions sont créées), de chefs des administrations locales (maires, présidents des districts et assemblée de Rodrigues) pour éviter un conflit de légitimité entre lui et le Premier ministre. Il faut un véritable suffrage et des candidats potentiels qui s’affrontent.

Etes-vous en faveur d’un parlement bicaméral et de l’introduction d’un Sénat. Quels avantages peut-on y avoir ?

L'intérêt d’un Sénat est multiple. Il est toujours utile de faire usage de l'expérience des femmes et hommes politiques qui ont dirigé le pays. En général, la deuxième chambre comporte en son sein des personnalités expérimentées qui pourraient tempérer des changements hasardeux et donner un meilleur éclairage à l’orientation politique. Aussi, la deuxième chambre reflèterait-elle un rapport de force différent dans le pays, ce qui pourrait modérer toute victoire écrasante d'un bloc sur un autre si son renouvellement a lieu à une période différente. Elle permettrait de consolider la démocratie. Un Sénat élu à la proportionnelle mettrait fin au débat sur l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée Nationale. La stabilité politique à la chambre des députés est nécessaire pour un pays émergeant. Or, la proportionnelle à l’Assemblée est malheureusement réputée pour être un facteur du fractionnisme. Elle y permettrait l’émergence de trop de petits partis. Déjà nous avons sept partis représentés à l’Assemblée. Au sein de la majorité, si elle est faible, les petits partis pourraient faire du chantage au gouvernement, leur soutien étant conditionné à l’application essentiellement d’une revendication. Au Sénat, la proportionnelle n’aurait un tel effet néfaste eu égard aux pouvoirs qui seraient conférés aux sénateurs. Cependant, avant de créer un Sénat, je suis en faveur d’un renforcement de l’Assemblée nationale. Le nombre de députés à l’Assemblée doit être augmenté. Une soixantaine de députés n'est pas suffisante pour diriger un pays. Grands ou petits, les pays ont en général une trentaine de membres du gouvernement (ministres et secrétaires parlementaires privés). A Maurice, tous les membres du gouvernement, sauf l'Attorney-Général, sont des élus, ce qui fait que presque la moitié des députés compose le gouvernement. Il ne reste que l'autre moitié (opposition/majorité confondues) pour contrôler l'action du gouvernement et faire des propositions. Ce n'est pas suffisant. Il y a lieu d'accroître le nombre de députés. On peut aussi ajouter éventuellement un député par continent pour représenter les mauriciens de l’étranger (ils n’ont pas le droit de vote actuellement). L’on doit passer, pour que l’Assemblée nationale puisse fonctionner à bon escient, à une centaine de députés (4 par circonscription, 5 à 10 de l’étranger, 3 de Rodrigues, 8-10 best-Loser). Dans une assemblée, il faudrait qu’il y ait des commissions permanentes chargées de contrôler l’action du gouvernement sur les grands secteurs. Notre Assemblée est encore trop embryonnaire. L’activité parlementaire ne se réduit pas à la seule opposition au gouvernement.

Comment jugulez avec les questions concernant le best-loser system et le l’introduction de sièges réservés pour les femmes aux Parlement ?

Je propose de donner au système dit des meilleurs perdants un nouveau souffle. C’est d’attribuer les sièges en priorités aux candidates femmes battues aux élections en prenant en considération leur appartenance ethnique également. Ce serait un moyen pour promouvoir la parité hommes-femmes en politique chez nous.

Certains réclament l’abolition du poste de vice-président. Vos commentaires ?

Certains soutiennent que c’est un poste qui coûte cher à l’Etat pour un rôle très faible et qu’en réalité il sert plus à accorder une retraite dorée à un camarade fidèle et éventuellement il satisfait à la représentation ethnique plurielle de notre société. Il suffit de changer de pratique : choisir pour le poste quelqu’un qui est apte et compétent et lui attribuer un rôle. Je suis en faveur d’un certain activisme de la Présidence sur le plan international sans qu’elle ne marche sur les pieds de la primature. Je ne pense pas que l’on puisse demander au Chef-Juge ou au Speaker d’assumer l’intérim de la présidence sans conflit d’intérêt et sans atteinte au principe de la séparation des pouvoirs même si cela existe dans certains pays. Par exemple, une Loi qui reçoit l’assentiment du Chef-Juge président par intérim ne pourra pas être loyalement contestée devant le pouvoir judiciaire.

Peut-on y introduire le principe référendaire pour les grandes décisions ?

Le référendum est déjà prévu par la Constitution depuis 1982. Il s’agit par contre du seul cas où le pouvoir chercherait à renvoyer la tenue des élections législatives. Le texte de loi doit être adopté par référendum et par l’Assemblée. Oui, le référendum pourrait être prévu aussi pour l’adoption de grands changements. L’abrogation de la monarchie et l’instauration de la République en 1992 auraient dû être adoptées par référendum pour une raison de légitimité démocratique !