15 févr. 2011

L’exigence démocratique d'un droit à l’information à Maurice

Le droit à l’information d’un peuple à l’encontre de l’administration publique et du Gouvernement est un droit fondamental et constitutionnel. Même certaines pratiques ou législations du Royaume-Uni furent l’objet de sévères sanctions par la Cour européenne de Strasbourg lorsque celles-ci touchent au droit à l’information. Les mauriciens, petit peuple à la merci d'une pratique gouvernementale sans cadre statutaire, ne bénéficient pas de protection statutaire à cet égard. La question se pose si un petit pays avec une petite cour suprême, dont la timidité ou la bravoure reste encore à être appréciée, peut être à cheval sur la question démocratique et garantir les «vrais» droits des citoyens, qui sont tout au plus constitutionnels, dont le droit à l’information.


Or, si un officier d'une fonction publique refuse pour des raisons non démocratiques un droit à l’information, cet acte serait illégal et inconstitutionnel. S'il n’y a pas un acte statutaire en ce sens à Maurice, néanmoins le droit applicable protège le droit du citoyen à l’information. D'abord la Constitution mauricienne prévoit en son article 12 que : «…, il ne sera porté aucune entrave au droit de quiconque à la liberté d’expression, c'est-à-dire la liberté d’opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations …».

Le Conseil privé, dont la jurisprudence s’applique à Maurice, et emporte prééminence sur le territoire de celle-ci, avait interprété des dispositions similaires à celles de la Constitution mauricienne dans l'arrêt Observer Publications v Campbell [2001] UKPC 11. En son paragraphe 8, l’arrêt du Conseil privé precise que : «It is necessary to quote in full this section of the said freedom includes the freedom to hold opinions without interference, freedom to receive information and ideas without interference ...». Le Conseil Privé avait rappellé aussi que (paragraphe 52) : «The notion that whenever there is a failure by an organ of government or a public authority or public officer to comply with this law ... necessarily entails the contravention of some human rights or fundamental freedom ...», et que (paragraphe 53), « ... with respect, the image of the Constitution as secluded behind closed doors is not one which their Lordships adopt. Nor would it be right to think of the Constitution as if it were aloof or, in the famous phrase of Holmes J, ‘a brooding omnipresence in the sky’. On the contrary human rights guaranteed in the Constitution ... are intended to be a major influence upon the practical administration of the law. Their enforcement cannot be reserved for cases in which it is not even arguable that an alternative remedy is available. As Lord Steyn said, ... in Ahnee v DPP ... ‘... bona fide resort to rights under the Constitution ought not to be discouraged’». Citons, entre autres, parmi une jurisprudence constante du Conseil Privé, l'arrêt Cable and Wireless v Marpin Telecoms, [2000] UKPC 42 qui incorpore la jurisprudence de la Cour européenne considérant la nécessité d'un contrôle juridique stricte sur toute violation des droits à l’information :«61. … Where in the instant case there has been an interference with the exercice of the rights and freedoms ... the supervision must be strict, because of the importance of the rights in question; the importance of these rights has been stressed by the Court many times. ....».


Ces jurisprudences s’appliquent en droit mauricien, même si elles statuent sur le droit des autres États. La question essentielle au sujet du gouvernement mauricien, pour apprécier également leurs bravoures et leurs sens démocratiques, serait certes dans la considération d'une loi sur le libre accès à l’information. Dans l'arrêt Worme and Anor v Commissioner of Police [2004] UKPC 8, des dispositions constitutionnelles similaires à celles de Maurice furent encore l’objet des observations claires et nettes de la part du Conseil privé. Celui-ci avait même fait référence à l’esprit démocratique qu’épouse la Cour européenne de Strasbourg («the Spirit of the statement of the European Court of Human Rights in Lingens v Austria (1986) 8 EHRR 407, 418-419, at para 42»). Au paragraphe 19 de l’arrêt Worme, le Conseil statue encore que : « … their Lordships bear in mind the importance that is attached to the right of freedom of expression, particularly in relation to public and political matters … … In Hector v Attorney-General of Antiua [1990] 2 AC 312, 318, Lord Bridge of Harwich said: ‘In a free democratic society it is almost too obvious to need stating that those who hold office in government and who are responsible for public administration must always be open to criticism. Any attempt to stifle or fetter such criticism amounts to political censorship of the most insidious and objectionable kind’».


Certes, la législation mauricienne aurait dû suivre le pas, à l’instar des législations des pays «démocratiques». Ceci, malheureusement, n'est pas le cas à Maurice qui n’a pas de législation statutaire en la matière. Ainsi au Royaume-Uni même, le «Freedom of Information Act», donne droit à tout citoyen d’exiger de toute administration, dans des domaines y relatifs, des informations et soumet l’administration à une obligation de répondre et de fournir les informations requises en 21 jours. Citons l’article 1 et 10 du «Freedom of Information Act 2000» du Royaume-Uni: «1. (1) Any person making a request for information to a public authority is entitled : (a) to be informed in writing by the public authority whether it holds information of the description specified in the request, and (b) if that is the case, to have that information communicated to him». ... 10(1): Subject to subsections (2) and (3), a public authority must comply with section 1(1) promptly and in any event not later than the twentieth working day following the date of receipt». En Inde il existe un «Indian Right to Information Act». Le manque de loi cadre à Maurice peut être interprétée comme une aubaine pour une administration et un exécutif qui échappe au contrôle du peuple. L’information qu’ils dispenseraient se ferait par un tri non démocratique, parfois par discrétion d’un ministre ou d’un exécutif.


Mais même en l’absence d'une telle législation, rappelons que le droit applicable est comme le stipule la Constitution, comme le démontre la jurisprudence du Conseil privé. Celui-ci protège le droit à l’information, donc le droit de tous mauricien d’avoir accès à l’information auprès des départements gouvernementaux et auprès de toute fonction publique mauricienne.


Un gouvernement est à tout moment responsable devant la nation. Le peuple à un droit démocratique et constitutionnel à l’information. Il ressort que si un département gouvernemental recèle une information et refuse de la communiquer pour des raisons non démocratiques, cette pratique serait inconstitutionnelle et illégale. Il appartient à la justice de sanctionner alors une telle pratique, et cette justice devait pouvoir se faire même sur le sol mauricien avec une célérité qui en serait digne. C'est dans cette optique qu’il faut apprécier toute pratique gouvernementale qui dispenserait au compte goutte des informations à tous ceux qui en solliciteraient. Ceci constituerait a priori une atteinte aux droits constitutionnels de nos citoyens.


Riyad Dookhy, Barrister (Londres), Chercheur (IRCM, France)

dookhyr@hotmail.co.uk