5 févr. 2011

La peine de mort : le faux débat!

La peine de mort : le faux débat!

L’île Maurice souffre indéniablement d’une montée en flèche des faits de violences les plus graves : vols, viols, meurtres, homicides involontaires dus aux accidents de circulation etc… Les dirigeants au sommet de l’Etat, dont le Président et son Premier ministre prônent de nouveau l’application de la peine de mort. C’est la réponse qu’ils peuvent donner pour tenter d’éradiquer le sentiment de peur dont est affecté le mauricien désormais.

Je ne traiterais pas ici l’absence de dissuasion de lapeine de mort pour un criminel qui souhaite passer à l’acte, mais seulement le cadre ou l’ordonnancement juridique et constitutionnel de Maurice, qui ne permet pas une application de la peine capitale, et les véritables solutions à l’insécurité grandissante.

Le cadre juridique

Maurice n’a plus procédé à l’exécution d’une sentence de mort à l’encontre d’un condamné depuis 1987. En 1995, le Parlement d’alors avait voté en faveur d’une loi suspendant la peine de mort.

Auparavant, le Conseil Privé de la Reine, juridiction suprême pour Maurice, avait considéré, dans une affaire Earl Pratt de 1993 venant de la Jamaïque, que la mise à exécution d’une sentence de mort après une longue période d’attente au couloir de la mort était contraire à la Constitution car elle constituait un traitement inhumain et dégradant. Le Conseil Privé a fait une telle interprétation car souvent les Constitutions des pays du Commonwealth prévoient la conformité de la peine de mort à la Loi Fondamentale. L’article 4 (a) de la Constitution de Maurice vise expressément la peine de mort.

Le Conseil Privé a posé une règle rigoureuse. Toute exécution qui intervient au-delà de cinq années après le prononcé de la sentence violerait la Constitution parce que tombant dans le seuil de souffrance interdit. Au-delà de cette période, le condamné peut saisir le juge d’une requête tendant à commuer sa peine en réclusion criminelle à perpétuité. Cette règle a été étendue à l’île Maurice depuis l’affaire Boucherville en 1994. Puis, le Conseil Privé a considéré que le délai de cinq années n’était pas rigide et qu’il pouvait être réduit.

Parallèlement, le Conseil Privé a affirmé que tout condamné à mort a droit d’exercer toutes les voies de recours possibles et imaginables dont il dispose. Ce qui bien entendu fait écouler le délai fixé. Dans la pratique, l’épuisement de ces voies de recours n’intervient qu’après un minimum de six à sept années après le prononcé de la peine.

Pour réappliquer la peine de mort, il faudrait alors réviser la Constitution de Maurice en son article 7 et rajouter une disposition qui affirmerait que l’attente dans le couloir de la mort ne constitue pas une peine inhumaine et dégradante. Pour cela, il faudrait au Gouvernement une majorité des trois quarts à l’Assemblée Nationale qui voterait en faveur de la réforme nécessaire. Le Gouvernement ne dispose pas d’une telle majorité d’autant qu’en son sein un certain nombre de députés y sont farouchement défavorables.

Par ailleurs, Maurice a signé un certain nombre d’instruments internationaux relatifs à l’interdiction de la peine de mort. L’Union Européenne, par la voix de son représentant a pris position contre la réintroduction de la peine de mort à Maurice. Une majorité de pays évolue vers l’abolition. La République de Maurice, pour son image, ne pourra s’engager dans une démarche bien rétrograde.

Le débat qui s’est instauré au tour de la ré-application de la peine de mort tend finalement à occulter de vraies questions de société que le citoyen doit se poser. Pourquoi il y a une recrudescence de la violence et des crimes ?

La réponse est au moins double : Maurice est caractérisée par une grande fracture sociale et n’a mis en place aucune politique sécuritaire.

L’intégration sociale

L’écart entre le riche et le pauvre s’est considérablement élargi. Les poches d’extrême pauvreté sont en sérieuse augmentation. Il y a comme une ségrégation géographique à Maurice et d’une part la classe socialement intégrée et de l’autre la classe des exclus qui n’a que l’économie informelle pour survivre. Il faut en amont une politique structurelle d’ascension et de mobilité sociale et non une politique de lutte contre la pauvreté telle qu’elle est pratiquée. L’insécurité est la résultante d’un sentiment d’une mauvaise redistribution des richesses et d’injustice et de manque de pouvoir d’achats. Aussi, les affaires de fraude, de corruption et de prise illégale d’intérêts touchant les acteurs politiques les plus puissants n’aboutissent-elles nullement d’autant que le montant des sommes détournées est important. Or, le petit voleur de poule, lui, écope de toute la sanction et de l’arsenal répressif. Cela créé chez le citoyen ordinaire un sentiment de révolte et d'injustice qui sans doute le pousse à la criminalité.

Une politique pénale

L’île Maurice moderne a besoin d’une politique sécuritaire mise en place par un véritable titulaire à plein temps au ministère de l’intérieur. Plus de quarante ans après l’accession du pays à l’Indépendance, il y a lieu de réorganiser les structures gouvernementales afin qu’elles soient en phase avec l’évolution de notre société. Les policiers méritent de recevoir une formation poussée sur les techniques d’enquête pour être plus efficace. La Justice a le besoin d’être plus réactive et agir avec célérité. Elle doit faire assurer le suivi des récidivistes pour qu’ils ne repassent pas à l’acte à leur élargissement de la prison.

La solution ne peut être unique. Une série de mesures d’ensemble est nécessaire pour l’établissement d’une politique d’intégration et pénale…

Dr Parvèz DOOKHY

(In Le Mauricien du 5 février 2011)