17 janv. 2011

Pour une autre île Rodrigues !

Pour une autre île Rodrigues !

Il faudrait tout autant « une autre île Maurice » qu’une autre île Rodrigues pour des raisons éventuellement différentes. L’île Maurice a besoin de sécurité publique, d’une transformation transcendantale des réflexes sociétaux, d’une politique économique équitable, de professionnalisme et d’éthique. Rodrigues a besoin, par contre, d’une mutation institutionnelle substantielle et de grands travaux.

Dans un élan de bonne volonté et de respect à l’égard du peuple de Rodrigues, le gouvernement animé par Sir Aneerood Jugnauth et Paul Bérenger (2000-2005) a accordé aux rodriguais des institutions leur permettant de prendre en charge en grande partie leur propre destinée.

L’île Rodrigues bénéficie d’un régime d’autonomie depuis la fin 2001-2002, une autonomie dite maximale selon les termes mêmes de Paul Bérenger.

Le peuple de Rodrigues a à son actif une longue lutte, pacifique, de revendication pour une considération politique. La première revendication remonte en 1915 lorsqu’un groupe de rodriguais déplorait l’absence de toute représentation de Rodrigues au sein du Conseil Législatif. C’est grâce à une forte mobilisation de l’opinion que les rodriguais ont pu obtenir finalement cette représentation au sein de l’Assemblée Législative de Maurice en transition vers l’indépendance et avoir dans la foulée le droit de vote. Le Mouvement militant mauricien de Paul Bérenger a fait le choix de ne pas s’implanter à Rodrigues dans un souci de considération à l’égard de Rodrigues et de composer éventuellement le gouvernement avec les élus de la circonscription de l’île. En devenant l’homme fort de la République de Maurice en 2000, Paul Bérenger, pérennement attaché à l’évolution des institutions publiques de l’Etat de Maurice, a voulu alors devancer l’Histoire de Rodrigues et s’est inspiré du modèle écossais d’autonomie.

En vertu de la Loi sur l’Assemblée Régionale de Rodrigues, l’instance dirigeante de l’île peut désormais non seulement légiférer mais également conclure des accords et solliciter de l'aide à l'extérieur, ce après l'aval des Ministères des Affaires étrangères et du Plan. Le Conseil exécutif de l’île peut également lancer des appels d'offres d'une valeur maximale de 10 millions de roupies pour l'exécution des projets de développement.

Bien que très honorable dans la démarche, l’on peut s’interroger aujourd’hui sur les bienfaits de l’autonomie de Rodrigues telle qu’elle a pris forme ces temps derniers dans la pratique et se demander si, dorénavant, d’autres politiques de développement institutionnel existent pour l’île.

L’île Rodrigues n’a pas connu de politique de décentralisation. Cette île ne comporte en son sein aucune ville administrée par une mairie ou municipalité. Il est dès lors peut-être utile de créer à Rodrigues des villes, dans le cadre de la réforme des administrations locales à venir, avec des compétences fortes. Parallèlement, l’île Rodrigues devrait bénéficier d’une intégration parfaite et absolue à la République de Maurice, un droit égal au développement et au progrès, un peu à la manière de la Réunion à l’égard de la France. Or, il existe aujourd’hui une fracture sociale accentuée et très contestable entre Maurice et Rodrigues.

Aussi, l’autonomie de Rodrigues s’avère-t-elle désormais dangereuse. Elle est devenue une aventure périlleuse pour les rodriguais eux-mêmes dans la mesure où leurs dirigeants locaux n’ont pas été aptes à assumer avec maturité la destinée de l’île et se sont lancés dans des querelles futiles. Elle s’est traduite en une entreprise imprudente car certains responsables politiques très mal inspirés, y compris parmi des natifs de Maurice, commencent à évoquer l’idée d’une indépendance de l’île alors que la République déploie des efforts considérables, tous gouvernements confondus depuis 1982, pour le respect de son intégrité territoriale en tentant de récupérer sa souveraineté sur l’île Tromelin et l’Archipel des Chagos. Des puissances étrangères en quête de points d’appui hors de leurs frontières pourraient aisément saisir la perche de l’indépendance de Rodrigues et animer une agitation politique dans leur seul intérêt. L’autonomie est enfin source de conflit entre les organes exécutifs de la République et ceux de l’île Rodrigues.

Au-delà de ce caractère hasardeux, l’autonomie de Rodrigues est malheureusement devenue une politique bien égoïste, non dans sa philosophie mais dans son application telle qu’elle a été exécutée ces dernières années. Maurice a connu un développement caractérisé et l’île Rodrigues est restée à la traîne d’un essor économique digne et de la modernisation. Car Rodrigues reçoit une dotation budgétaire limitée, ce qui freine son développement.

Il serait alors nécessaire de concevoir une nouvelle politique égalitaire et unitaire pour Rodrigues par rapport à Maurice. L’intégration et l’assimilation à Maurice donneraient à Rodrigues et aux rodriguais davantage de droit et de respects. L’élu de la circonscription de Rodrigues serait traité en égal d’un autre élu de Maurice et pourrait assumer des fonctions nationales. Parallèlement, chaque Ministère du gouvernement de la République aurait l’obligation d’accorder la part qui lui revient à Rodrigues dans l’exécution de la politique nationale, que ce soit l’accès à l’éducation, à la santé, aux ressources vitales, au développement etc. La modernisation de Rodrigues devrait être une des préoccupations majeures de tous les ministères de la République et non laissé au seul Conseil exécutif de l’île. Cette dernière devrait être administrée comme un district à part entière de la République.

Parvèz DOOKHY

(In Le Mauricien du 17 janvier 2011)