I. Le statut constitutionnel des anciens Présidents de la République
L’article 56 alinéa 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « En sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents de la République ».
Il s’agit d’une disposition, par définition, à valeur constitutionnelle, conférant à l’ancien chef de l’État, en ce qui nous intéresse Nicolas Sarkozy, une qualité particulière, distincte de la simple reconnaissance honorifique. Contrairement à une décoration ou à une fonction symbolique, cette appartenance emporte participation effective à l’organe juridictionnel suprême en matière constitutionnelle.
Le mandat de membre de droit est à vie, irrévocable, non susceptible de déchéance. La démission volontaire est en soi impossible car non expressément prévu par les textes. On peut en déduire que le constituant a entendu placer l’ancien Président dans une situation juridique intangible, assurant une continuité institutionnelle.
L’appartenance au Conseil constitutionnel est automatique, irrévocable et imprescriptible. Le constituant n’a pas prévu de faculté de renonciation à la qualité de membre de droit. Il ne s’éteint jamais, même si son exercice peut suspendu en raison du seul bon vouloir de l’intéressé. L’exercice des fonctions (participer aux séances, délibérer, voter) dépend d’un choix personnel ou de circonstances de fait (maladie, convenance). Une autorité de l’État, administrative ou judiciaire, ne peut en aucun cas porter atteinte à ce droit (constitutionnel).
En conséquence, l’ancien Président Nicolas Sarkozy ne saurait être assimilé à un justiciable ordinaire : il exerce de plein droit une « mission constitutionnelle permanente » même s’il a choisi de ne pas siéger. Il peut à tout moment revenir sur cette décision pour quelque raison que ce soit.
Valéry Giscard d’Estaing a bien siégé au Conseil constitutionnel, mais de manière intermittente et non continue. il est devenu membre de droit à vie du Conseil constitutionnel dès la fin de son mandat présidentiel en 1981. Dans un premier temps, il s’est abstenu de siéger, préférant se consacrer à son activité politique (notamment sa carrière de député et de responsable de l’UDF, puis son rôle dans les institutions européennes). Il a ensuite décidé de reprendre effectivement son siège au Conseil constitutionnel, notamment à partir de 2004, après son retrait progressif de la vie politique active. Jusqu’à son décès en 2020, il a donc conservé cette appartenance, et il a bien participé aux délibérations du Conseil dans certaines périodes.
II. L’incompatibilité entre l’exercice d’une mission constitutionnelle et une privation de liberté
La privation de liberté (emprisonnement ferme) est, par essence, incompatible avec la participation effective aux travaux du Conseil constitutionnel. Or, un membre de droit ne peut être empêché d’exercer sa mission sans que soit méconnue la Constitution elle-même.
L’on retrouve ici une analogie avec le régime des parlementaires : l’article 26 de la Constitution institue une immunité parlementaire afin de préserver l’indépendance du législateur. De même, l’article 56 peut être lu comme instituant une immunité « fonctionnelle » au bénéfice des anciens Présidents.
Le respect de la hiérarchie des normes impose que la disposition constitutionnelle l’emporte sur toute condamnation pénale privative de liberté, qui n’aurait pour effet que de neutraliser la mission constitutionnelle prévue par l’article 56.
Il en résulte que Nicolas Sarkozy pourrait soutenir que sa condamnation privative de liberté, loin d’être une mesure individuelle, revêt une portée constitutionnelle : elle revient à dénier à l’article 56 tout effet utile.
III. L’ouverture d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)
La QPC, fondée sur l’article 61-1 de la Constitution, permet à tout justiciable de contester la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution.
En l’espèce, Nicolas Sarkozy, condamné pénalement, pourrait soutenir devant le juge d’appel en urgence que l’exécution d’une peine privative de liberté, prévue par le Code pénal et le Code de procédure pénale, porte atteinte à une exigence constitutionnelle expresse : son appartenance inaliénable au Conseil constitutionnel (art. 56) et que l’effet de cette exécution est de priver de tout effet utile la disposition constitutionnelle, ce qui revient à une violation de la suprématie de la Constitution.
L’atteinte à l’exercice d’une mission constitutionnelle est une méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs. Le juge judiciaire, en privant de liberté un membre de droit, fait échec à une prérogative constitutionnelle, ce qui revient à soumettre une mission constitutionnelle à l’autorité d’une juridiction ordinaire.
Une telle QPC serait recevable en principe, car elle met en cause la conciliation entre la répression pénale et une disposition constitutionnelle précise. Toutefois, l’issue dépendrait de l’interprétation du Conseil constitutionnel lui-même, seul compétent pour dire si l’article 56 confère ou non une immunité pénale.
L’article 56 ne souffre aucune réserve : l’adhésion au Conseil est automatique et perpétuelle. La privation de liberté équivaut à une suspension de fait de cette appartenance, ce qui viole la Constitution.
La jurisprudence constante reconnaît la supériorité de la Constitution sur la loi pénale.
Le Conseil constitutionnel pourrait estimer que l’article 56 institue une mission insusceptible d’être entravée.
Conclusion
En droit pur, l’appartenance à vie au Conseil constitutionnel pourrait être invoquée par Nicolas Sarkozy pour contester toute peine de prison ferme. La voie procédurale adéquate réside dans la QPC à soulever devant la Cour d’appel, en soutenant que l’exécution d’une condamnation pénale porte atteinte à l’article 56 de la Constitution et, par ricochet, au principe de séparation des pouvoirs.
Parvèz Dookhy
Docteur en Droit en Sorbonne
Avocat à la Cour d’Appel de Paris
Daniel Fellous
Docteur en Droit
Avocat à la Cour d’Appel de Paris