Questions à Parvez Dookhy
Quelles sont vos premières observations sur les propositions de réformes électorales par l’équipe du Professeur Carcassonne?
Guy Carcassonne essaie de rationaliser davantage le système parlementaire mauricien alors que nous avons eu un système d’inspiration historique, basée sur l’histoire institutionnelle de la Grande-Bretagne. C’est une bonne dose de rupture avec le système parlementaire westministerien qu’il propose. On pourrait penser qu’il s’agit d’une certaine francisation du système.
Au-delà de cet aspect, le thème central est l’introduction de la proportionnelle intégrale. Avec le scrutin proportionnel, les partis auront un pouvoir accru. Ce sont les chefs des partis qui choisiront ceux qui seraient en position d’être élus sur les listes. Ce qui poserait un problème de renouvellement des acteurs politiques. Dans notre système de scrutin dit majoritaire plurinominal à un tour, beaucoup de leaders politiques ont été battus : Seewoossagur Ramgoolam et en 1982, Paul Bérenger en 87, Aneerood Jugnauth en 95, Pravind Jugnauth en 2000. Avec la proportionnelle, les leaders, qui seront par définition en tête de liste, ne seront jamais battus. Idem pour les autres hauts dirigeants du parti. Cela posera un grand problème de renouvellement de la classe politique.
Sera-t-il facile d’éliminer le Best-Loser System, qui a quand même fait ses preuves à Maurice ?
Il va falloir beaucoup de courage. Peut-être même qu’il va falloir procéder par un système de test. Prévoir son abolition pour une élection donnée et voir comment elle fonctionne. Si à l’issue cette élection son abolition est satisfaisante, alors les parlementaires la voteront définitivement. Il est nécessaire, malgré le vœu de mauricianisme, que toutes les communautés soient représentées à l’Assemblée Nationale.
Que pensez-vous de la nouvelle formule de délimitations des circonscriptions ?
Toute la difficulté va être la création de ces 7 grandes circonscriptions. Le redécoupage fera beaucoup de débats. Le plus simple serait de regrouper les circonscriptions actuelles. Guy Carcassonne n’a fait que proposer des principes, mais leur application sera une matière très sensible. Les lobbys, les organisations cultuelles vont sans doute s’y mêler. Mais 7 grandes circonscriptions pour 70 députés, ce qui signifie qu’on aura une dizaine de députés par circonscription en moyenne. Ce sera assez complexe de répartir les sièges selon la proportionnelle entre les partis à l’issue d’une élection s’il y a moins de 10 élus dans une circonscription. Je m’explique. Il faut un seuil entre 10 et 15 % pour avoir des élus et ensuite répartir selon le pourcentage obtenu. Imaginons qu’il n’y aurait que 9 élus dans une circonscription. Le parti A obtient 20%, le parti B 25%, le parti C 35 %. Le reste (20 % restants) est éparpillé entre les petits partis non éligibles. La répartition est difficile et est un casse-tête mathématique.
Peut-on introduire la dose de proportionnelle avec un vote centré sur le parti plutôt que l’individu ?
Maintenir un système de panachage va encore compliquer les choses. Guy Carcassonne se prononce d’ailleurs clairement pour un système de liste fermé. Mais les mauriciens doivent savoir qu’avec la proportionnelle, telle que proposée, ils perdent une liberté importante : le droit qu’ils ont de voter pour des candidats. Là, ils voteront pour des partis.
D’aucuns disent craindre que cette liste bloquée et la nomination des ministres non-élus nous fait éloigner de notre système westministérien qui jusqu’ici a fonctionné dans les meilleures conditions. Partagez-vous cet avis ?
Ce qui caractérise le système westminsterien sur le plan électoral c’est l’émergence d’un gouvernement fort et le bipartisme, voire tripartisme. Au Parlement, il n’y a que deux ou trois blocs. Avec la proportionnelle, il y aura, forcément, sauf à avoir un seuil très élevé mais qui va alors vider la proportionnelle de tout son sens, plusieurs partis à l’Assemblée. Nous avons déjà à Maurice sept partis politiques à l’Assemblée. Avec la proportionnelle nous risquons d’en avoir plus. C’est la porte ouverte aux chantages. Nous risquons alors de basculer dans un régime dit d’Assemblée, comme en Italie ou en Israël où les gouvernements ne tiennent pas longtemps. C’est en raison du nombre de partis qui compose une coalition gouvernementale. Nous sommes un pays en voie de développement et nous ne pouvons pas avoir un système constitutionnel qui favorise l’instabilité gouvernementale. Quant aux ministres non élus, c’est le cas en France, qui applique une séparation des pouvoirs, un député qui devient ministre perd son mandat de député le temps qu’il est ministre. Dans le système anglais, il n’y a pas de séparation de pouvoirs mais une collaboration des pouvoirs parlementaires et exécutifs.
Va-t-on atteindre l’objectif désiré en termes de représentation de plus de femmes au Parlement ?
C’est vrai qu’avec la proportionnelle il est plus facile d’avoir la parité.
Il y aussi la question du transfuge. Est-ce réaliste de croire en ce qui a été proposé ?
Guy Carcassonne propose d’anéantir l’effet d’un transfuge en permettant au parti qui a perdu un député d’en avoir un autre qui est le meilleur non élu de sa liste. Mais dans un système parlementaire, le Gouvernement est responsable devant le parlement. Avec ce système de remplacement du député dissident, le gouvernement sera très difficilement mis en cause ou censuré par le parlement. Or, l’essence même du régime parlementaire c’est de rendre le gouvernement responsable devant le parlement et la possibilité d’être censuré par ce parlement. La motion de censure perd alors de sa substance
Beaucoup de gens sont d’avis qu’il aurait fallu bien plus une réforme de notre constitution dans son ensemble 43 ans après l’indépendance qu’au lieu de s’occuper uniquement de l’aspect électoral. Vos commentaires ?
Plus de quarante ans après notre accession à l’Indépendance, il y a peut-être lieu de raffermir notre Constitution en lui donnant davantage de consistance. Nous avons en effet hérité d’une Constitution reflétant un certain équilibre du modèle de Westminster tout en étant bien embryonnaire dans ses articulations. Un certain nombre de préalables sont nécessaires à la réalisation d’une révision constitutionnelle susceptible de susciter une grande adhésion du peuple et de ses représentants. L’équilibre institutionnel doit être préservé tout en renforçant l’acquis démocratique et le caractère de l’Etat de droit. Il est impératif de faire consacrer des avancées constitutionnelles avec une grande prudence et délicatesse. La réforme, notamment en ce qui concerne son volet électoral, doit être adoptée avant la mi-mandat du gouvernement de manière à ce qu’elle n’apparaît pas comme un changement du jeu politique à l’approche des élections, ce qui est toujours suspicieux.
Sinon quelle aurait été selon vous une proposition plus idéale dans le contexte mauricien?
Je suis en faveur du scrutin uninominal à un tour : un élu par circonscription comme en Angleterre ou en France. Actuellement, nous avons 20 circonscriptions à Maurice. On pourrait imaginer 60 ou 70 circonscriptions et avoir un élu par circonscription au lieu de trois. L'idée est de rapprocher le candidat de sa circonscription et éviter la pratique de « vote bloc » ou le panachage communautariste. Avec ce système, il serait difficile, sauf énorme basculement de l'électorat dans un camp, d'avoir des majorités écrasantes. Si tel est alors le cas, c'est que le peuple a voulu sanctionner sévèrement un régime. Il doit alors avoir de bonnes raison de le faire. Avec un scrutin uninominal (un élu par circonscription), l’électeur ne pourrait faire du panachage communautariste comme actuellement, c'est-à-dire attribuer ses trois voix à trois candidats, de partis différents, issus de sa communauté seulement. Ce serait un pas de plus dans la construction d’une véritable nation mauricienne. Toutefois, les partis politiques devraient être bien attentifs au maintien de l’équilibre ethnique dans la désignation des candidats de manière à ce qu’aucune communauté ne se trouve lésée par ce mode de scrutin.
L’une des aspects qui n’a pas été abordée c’est la question du partage de pouvoir entre le président et le Premier ministre. Cela reste délicat n’est-ce pas ?
Le partage des pouvoirs suppose un changement du mode de désignation du Président. Actuellement le Président n’est que le successeur du Gouverneur-général. Il est choisi, en toute discrétion, par le Premier ministre seul et ce choix est simplement ratifié par l’Assemblée Nationale. Il n’est pas élu et il n’y a pas d’élection (compétition entre candidats). Il faudrait qu’il y ait une vraie élection, que des personnalités puissent faire acte de candidature librement. Dans une République moderne, le Président doit être élu pour une raison tout simplement démocratique et pour lui conférer l’autorité de sa fonction. Dans notre cas, il pourrait l’être par un suffrage universel indirect, c'est-à-dire par un collège composé de députés (éventuellement de sénateurs si ces fonctions sont créées), de chefs des administrations locales (maires, présidents des districts et assemblée de Rodrigues) pour éviter un conflit de légitimité entre lui et le Premier ministre. Il faut un véritable suffrage et des candidats potentiels qui s’affrontent. Disposant d’une réelle légitimité démocratique, le Président, tout en étant garant du bon fonctionnement des institutions, pourrait avoir ce que l’on appelle des domaines réservés, notamment en matière diplomatique, comme en France.
Que pensez-vous du débat de retransmettre en direct les travaux parlementaires ?
Ce serait une bonne avancée démocratique. Mais encore faut-il que la retransmission soit impartiale par une chaîne indépendante politiquement !